En janvier 2016, Pascal Canfin prendra le tête de WWF France. (©photo)
L’ONG 350(1) a annoncé hier à la COP21 que plus de 500 institutions disposant de 3 400 milliards de dollars d’actifs avaient déjà renoncé à certains investissements dans les énergies fossiles. Nous avons interrogé sur ce sujet Pascal Canfin, conseiller principal sur le climat du World Resources Institute(2) et ancien ministre français chargé du développement(3).
1) L’ONG 350 indique le nombre d’institutions ayant « désinvesti » dans les énergies fossiles mais a-t-on une évaluation du montant de ces désinvestissements ?
Non. Les institutions financières qui font état de leur volonté de désinvestir ne disent pas nécessairement sur quelle part de leur portefeuille porte ce désinvestissement. Elles annoncent la « décarbonation » partielle ou complète de leurs portefeuilles. Reste à savoir dans quoi ces institutions réinvestissent mais ces dernières ne communiquent pas forcément cette information et mettent en place leurs stratégies au fur et à mesure.
Auparavant, ces engagements provenaient d’institutions philanthropiques ou concernaient des niches, une petite partie des portefeuilles. Ce qui est vraiment nouveau aujourd’hui, c’est que de plus en plus d’investisseurs « mainstream » comme des fonds de pension ou des compagnies d’assurances prennent des décisions de « décarbonation » sur la totalité de leur portefeuille d’actions. C’est par exemple le cas de la Caisse des Dépôts dont le portefeuille d’actions s’élève à 55 milliards d’euros et d’ABP, le premier fonds de pension néerlandais (100 milliards d’euros).
On est clairement en train de changer d’échelle. La Portfolio Decarbonization Coalition, groupe d’investisseurs qui visait à superviser la décarbonation de 100 milliards de dollars d’actifs va finalement annoncer cette semaine que cette décarbonation concerne un montant 6 fois plus élevé, soit 600 milliards de dollars.
2) Depuis quand ces acteurs se sont-ils engagés dans un mouvement de « décarbonation » de leurs actifs et pour quelles raisons ?
Lorsque j’étais au Parlement européen dans la commission « affaires économiques et monétaires » entre 2009 et 2012, ce sujet n’existait pas. C’est vraiment récent et le point de départ le plus visible est le sommet de Ban Ki-moon sur le climat en septembre 2014. Depuis lors, le mouvement n’a fait que s’accélérer pour 3 raisons.
La première est l’éthique, ce qui constitue la principale motivation des institutions de philanthropie ou des collectivités. La deuxième raison est financière : les indices boursiers bas-carbone surperforment depuis 5 ans, ce qui n’est donc pas simplement lié au cycle baissier du pétrole depuis l’été 2014. La tendance est assez claire lorsque l’on voit que les cours des charbonniers australiens ont perdu 95% de leur valeur sur les trois dernières années.
La troisième raison, plus récente, est réglementaire. La première étape a eu lieu en avril 2015 avec le mandat donné par le G20 au FSB (Conseil de stabilité financière qui regroupe les Banques centrales) d’étudier le lien entre climat et risques financiers. Depuis, Mark Carney, qui est à la fois gouverneur de la Banque d’Angleterre et directeur du FSB, a expliqué qu’il existait un risque qu’il fallait intégrer dans les stratégies d’investissements et dans les informations données aux investisseurs. Suite à la réunion du G20 de mi-novembre, une « task force » sera lancée ce vendredi pour travailler sur la mise en place de standards internationaux concernant la publication par les gestionnaires d’actifs d’informations en matière d’exposition au risque climat. C’est une étape très importante car vous pouvez aujourd’hui vous cacher derrière le fait que les informations ne sont pas disponibles mais ce ne sera plus le cas demain.
Lorsque l’on additionne ces trois leviers – éthique, intérêt financier et règles – cela crée un écosystème qui va faire bouger tout le monde.
3) Quels sont les principaux acteurs ayant « désinvesti » dans les énergies fossiles et comment envisagez-vous l’évolution de ce mouvement ?
Les désinvestissements peuvent être complets ou partiels. Un fonds de pension, une compagnie d’assurance et une banque ne sont pas soumis aux mêmes contraintes qu’une université ou une fondation. La logique de désinvestissements prend nécessairement des formes différentes.
Les exemples d’acteurs financiers impliqués sont toutefois de plus en plus frappants. Quand Allianz, le plus gros assureur allemand se détourne des charbonniers de son pays, c’est un signal très fort compte tenu de l’écosystème culturel et de l’histoire du charbon en Allemagne. Quand la Caisse des Dépôts prend des engagements sur la totalité de son portefeuille, c’est aussi une décision majeure. Ces deux exemples illustrent un changement culturel, profondément stratégique.
L’évolution de cette dynamique dans le futur dépend en partie de la COP21. Si la Conférence Climat permet d’aboutir au premier accord universel sur le climat, cela va permettre d’accélérer le processus. Si on ne trouve pas cet accord, cela va le freiner. C’est une question de dynamique politique.
4) Les désinvestissements touchent aujourd’hui principalement le charbon. Quelles tendances observez-vous sur les différentes énergies fossiles ?
La rationalité financière doit être bien différenciée pour le charbon, le pétrole et le gaz. Le charbon sert essentiellement à la production d’électricité, le pétrole à la mobilité. Le modèle économique du charbon connaît le début de la fin car les énergies alternatives sont de moins en moins chères et n’ont pas d’importantes externalités négatives comme la pollution de l’air. Depuis 2013, plus de la moitié des nouvelles capacités installées sont renouvelables. Le point de bascule a eu lieu très récemment, on est dans la décennie où ça bouge.
Sur la mobilité, on n’y est pas encore, le gros enjeu étant l’électrification de cette mobilité. Le point de bascule se fera plutôt durant les décennies 2020 et 2030. Si l’on avait une mobilité électrique aujourd’hui, ce serait une mobilité « charbon » dans de nombreux pays, il faut donc que la mobilité électrique se développe au fur et à mesure comme la part des énergies renouvelables(4) dans les mix électriques. Il s’agit de deux tendances différentes qui vont à un moment se rejoindre et faire système.
Dans une certaine proportion, le gaz fait partie de la transition énergétique pour accompagner la montée des énergies renouvelables, cette énergie étant moins émettrice que le pétrole et le charbon.
5) Quelles seront selon vous les conditions d’une COP21 « réussie » ?
Il faudra d’abord parvenir au premier accord universel sur le climat. Sans accord, ça sera un échec. On sait que l’accord lui-même ne sera pas un accord « 2°C » mais il faut qu’il rende crédible le retour vers cette cible. Les INDC (contributions nationales déposées auprès des Nations Unies) permettent déjà de passer d’une trajectoire de 4°C à une trajectoire de 3°C et elles seront mises en œuvre s’il y a un accord. Si ce dernier prévoit une révision tous les 5 ans des engagements et que cette révision commence avant 2020, alors on pourra dire que l’accord de Paris est à la hauteur des enjeux. Enfin, cet accord aura une date de début – 2020 – mais n’aura pas de date de fin. Il va nous accompagner tout le siècle, ce qui donne une idée de l’importance historique de cette COP21.
Il faut enfin avoir une vision plus large et je crois à un « pacte 2°C » qui intègre l’accord de la COP mais va au-delà puisqu’il repose également sur les milliers d’engagements qui sont pris à côté et qui ne seront pas dans l’accord. Il s’agit ici de la dynamique politique autour de l’accord mais pas de l’accord lui-même. Si ce pacte de Paris est atteint, on aura réellement fait de la COP21 un événement historique.