La vision de…
Bruno Rebelle
Directeur de l’agence de conseil en développement durable Transitions
Ancien directeur exécutif de Greenpeace France (1997-2003)
2050, si loin, si proche ! Si loin, car nous vivons dans un monde incertain, dans lequel il nous est particulièrement difficile de nous projeter au-delà de quelques mois… Si proche, car en 2050 mes petits-enfants, et les vôtres probablement, auront déjà entamé leurs vies professionnelles…
Si loin, car ce n’est qu’à cette échéance que nous pourrons commencer à mesurer les effets des transformations que nous aurons su engager aujourd’hui… et si proche, car si nous n’engageons pas maintenant ces mutations, nous pourrions subir avant cette échéance les effets dévastateurs de dérèglements irréversibles…
Dans ce contexte incertain, je veux rester optimiste. La COP21, en décembre 2015, a incontestablement marqué un tournant dans la mobilisation internationale pour le climat. Gouvernements, entreprises et acteurs de la société civile ont, à cette occasion, reconnu l'urgence du passage à l’action, après de longues années de négociations autour d’objectifs pourtant martelés depuis des décennies par la communauté scientifique. Cet accord historique impulse deux changements structurels – apparemment non connectés l’un à l’autre – qui vont orienter durablement les politiques énergétiques de la plupart des pays dans le monde : la définition de trajectoires énergétiques et la réappropriation des enjeux énergétiques par les acteurs non étatiques.
En obligeant chaque État à produire sa « contribution nationale »(1), l’accord de Paris leur impose de formuler des plans d’action à moyen et long terme. Certes, on peut regretter que ces contributions ne soient pas, à date, à la hauteur des ambitions de l’accord. Mais leur seule existence et l’obligation de leur révision dès 2018 conduit les États à dessiner des trajectoires énergétiques qui pourraient rapidement devenir des trajectoires de transition énergétique. En effet, le seul fait de mesurer ce que sera la part des différentes énergies dans ces « contributions » met en lumière plusieurs évidences qui échappaient jusqu’à maintenant à l’attention de la plupart des gouvernants.
La première de ces évidences est que la réduction de la demande d’énergie est, à la fois, un choix sans regret, notamment pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et un accélérateur de résilience, qualité de plus en plus appréciable dans un monde incertain.
La seconde découle de la visualisation de la dépendance de la plupart des États à l’égard des produits pétroliers. Les pays importateurs – dont la France – mesurent le poids des combustibles fossiles dans leur balance commerciale et redoutent le risque d’une nouvelle flambée du prix du pétrole du fait de l’épuisement prévisible de cette ressource. Le développement des hydrocarbures non conventionnels (gaz de schiste notamment), un moment présenté comme une compensation attractive à l’épuisement des ressources conventionnelles, s’avère en fait beaucoup plus compliqué que ce qui était prévu techniquement, beaucoup moins compétitif et surtout peu acceptable socialement en dehors des grands espaces du « middle-ouest » américain. Les exportateurs commencent eux à comprendre la fragilité de leur économie trop dépendante du pétrole. La baisse des prix les éreinte dans l’immédiat et l’épuisement de la ressource, qui ne sera que très partiellement compensé par une nouvelle flambée des prix, met en péril la pérennité de leur modèle économique.
La troisième de ces évidences est l’intérêt de développer les énergies produites à partir de ressources renouvelables locales, dans un contexte où ces technologies sont de plus en plus compétitives. Promouvoir les renouvelables c’est renforcer l’économie locale et, une fois de plus, renforcer la résilience de l’économie du local au global.
En prenant conscience de ces évidences, les gouvernants sont bien plus enclins à définir des trajectoires énergétiques soulignant l’intérêt d’une transition combinant réduction de la demande en énergie et substitution des ressources énergétiques traditionnelles, fossiles et fissiles, par des énergies renouvelables diversifiées, locales et bien moins porteuses de risques. Ce mouvement se renforce, s’accélère et s’ancre dans la durée dans plusieurs régions d’Europe – Scandinavie, Allemagne, Royaume-Uni et France – mais aussi dans de nombreux pays émergents.
Ainsi en Chine, ce ne sont pas moins de 344 milliards d’euros qui vont être consacrés aux énergies renouvelables d’ici 2020. Il s’agit de disposer de 210 gigawatts de capacités électriques éoliennes et de 110 GW de capacités solaires à cet horizon. Pour la seule année 2016, le pays a doublé ses capacités de production dans le solaire pour atteindre une puissance de 77 gigawatts (dépassant l’Allemagne qui était le champion de cette technologie avec 39,7 GW installés en 2015). Certes, le charbon pèse encore pour 60% du mix énergétique de l’empire du Milieu mais nul ne peut contester que la mutation est engagée. Dans un registre différent, l’industrie des renouvelables, notamment du photovoltaïque, est en plein boom aux États-Unis et les gesticulations du Président Trump ne pourront arrêter ces tendances.
La question qui se pose aux États n’est donc plus de savoir s’il faut engager ou non la transition énergétique, mais plutôt d’en définir le rythme et l’ampleur pour ne pas être les derniers à tirer les bénéfices de cette mutation globale. La question est aussi de savoir si les décideurs politiques seront suffisamment déterminés pour laisser émerger les mesures qui accéléreront cette transition (instauration d’un prix du carbone à l’échelle internationale, arrêt des subventions aux combustibles fossiles, facilitation des transferts de technologies vers les pays en développement, etc.) ou si, à l’inverse, ils continueront à se laisser influencer par les lobbys des industries fossiles et nucléaires qui ont bien compris que la transition s’imposerait aussi à eux et qui cherchent à tout prix à retarder l’échéance de leur propre transformation.
D’autre part, l’accord de Paris, en soulignant la nécessité du passage à l’action, met en avant les acteurs non étatiques – collectivités locales, entreprises, organisations citoyennes – dont on rappelle régulièrement qu’ils sont, dans les faits, les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Cette reconnaissance signifie aussi que ce sont ces acteurs qui ont la capacité de réduire significativement leurs émissions en agissant sur leurs modes de déplacement, sur l’efficacité énergétique de leurs logements, sur l’optimisation de leurs procédés industriels ou de leurs pratiques agricoles ou alimentaires.
En étant pointés du doigt comme les responsables du problème du réchauffement climatiques, ils sont de fait reconnus comme étant potentiellement partie de la solution à ce problème. La bonne nouvelle est que, sur ce sujet comme sur d’autres, cette société civile est plutôt en avance sur les gouvernants. D’ailleurs, ces acteurs non étatiques demandaient depuis plusieurs années d’avoir une place dans la négociation internationale sur le climat en soulignant qu’ils étaient, eux, déjà dans l’action et qu’ils attendaient avec impatience un cadre conventionnel pour faciliter leur implication sur le terrain.
L’ambition de l’accord de Paris offre ce cadre et l’Agenda de l’action souligne encore le rôle des acteurs non étatiques. De fait, des initiatives multiples se développent avec une diversité encourageante : le partenariat pour la mobilité durable (PPMC) ; l’alliance solaire internationale portée notamment par le gouvernement indien; le collectif international « desinvest » qui a déjà conduit au retrait de 5 000 milliards de dollars d’actifs précédemment investis dans les énergies fossiles; l’alliance pour des bâtiments durables; les coalitions pour des approvisionnements en produits agricoles réputés « zéro déforestation ». Ces acteurs non étatiques ont même leur sommet mondial annuel – Climate Chance – dont la 2e édition s'est tenue à Agadir au Maroc en septembre 2017. Mais c’est surtout le mouvement de fond qui, en mobilisant les territoires (grandes villes ou petites communes rurales), donne un souffle nouveau aux politiques énergétiques.
Ces deux grands leviers – l’émergence de trajectoires de transition énergétique à l’échelle des pays et la mobilisation croissante des acteurs non étatiques – restent évidemment à activer dans la durée. Et nous n’ignorons pas que le chemin de cette transformation est aussi pavé d’embûches. Mais ne boudons pas l’optimisme qu’emportent ces mobilisations. Relevons-nous les manches et contribuons chacun à notre place à cette transition pour le meilleur !
- « Nationally Determined Contribution » en anglais.