Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
« La concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre ne s’équilibre que lentement sous l’effet d’une baisse des émissions. Plus longue sera la durée de croissance des émissions, plus il faudra les réduire pour que les concentrations se stabilisent à un niveau donné ».
On pourrait croire la formule tirée du texte l’accord de Paris sur le climat(1), dont on célèbre ce samedi 12 décembre 2020 le cinquième anniversaire. Elle est pourtant issue du premier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)(2), remis il y a 30 ans aux décideurs de l’époque. Il s’agit là du véritable point d’amorçage de la négociation climatique.
De ce double anniversaire ressort une impression commune : à chaque fois, un démarrage sur les chapeaux de roue suivi d’un grippage du moteur et d’une désespérante course de lenteur.
Démarrages prometteurs
Les premières étapes de la négociation climatique sont franchies au pas de charge. Créé en 1988, le GIEC livre en deux ans son premier rapport d’évaluation. Ce rapport ouvre la voie de la Convention-cadre sur le climat, adoptée en 1990 au sommet de Rio. Pièce centrale de l’édifice, la convention entre en vigueur en 1994 et son organe souverain, la COP (la Conférence des parties), se réunit pour la première fois à Berlin en 1995. Il se donne deux ans pour produire un texte d’application précisant les termes de la convention. Mission accomplie en 1997 avec l’adoption à la COP3 du protocole de Kyoto, moins de dix ans donc après la création du GIEC.
Même célérité pour l’accord de Paris, texte d’application de la Convention de 1992 qui succède au protocole de Kyoto. Adopté le 12 décembre 2015 au terme de la COP21, cet accord réunit un nombre suffisant de ratifications (y compris celle des États-Unis) pour entrer en vigueur le 6 novembre 2016, à la veille de l’ouverture de la COP22 à Marrakech. Une convention multilatérale ratifiée en moins d’un an ? Du jamais vu aux Nations unies !
La suite de l’histoire est moins flamboyante. Contrairement à la mobilisation internationale face à la destruction de la couche d’ozone(3), organisée avec succès par la convention de Vienne (1985) et le protocole de Montréal (1987), le déploiement de l’action climatique internationale va se heurter à de multiples difficultés.
Courses de lenteur
La mise en œuvre du protocole de Kyoto est d’abord affaiblie par la défaillance du premier émetteur mondial de CO2 de l’époque : les États-Unis. Pour qu’un pays applique un traité international, il faut que son parlement le ratifie. Or, le texte du protocole de Kyoto ne sera jamais présenté au Sénat américain pour ratification, ni par l’administration Clinton, encore moins par celle du président Bush qui retira officiellement son pays du traité peu après son arrivée à la Maison Blanche, en 2001.
De 2001 à 2005, l’enjeu central des COP sera de sauver ce qui peut l’être du dispositif. Cela débouche sur l’entrée en application d’un protocole croupion régulant les seules émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés (hors États-Unis) sur la période 2008-2012. À partir de 2005, le fil conducteur de la négociation est de préparer un « après-Kyoto ».
La tentative européenne d’élargir le protocole de Kyoto après 2012, en réintégrant les États-Unis et les pays émergents, échoue à la COP de Copenhague en 2009. La négociation prend alors un virage en privilégiant une approche ascendante où chaque pays apporte sa contribution à la corbeille commune. Elle s’écarte également de la représentation binaire du monde sur laquelle reposait le protocole de Kyoto en excluant de tout engagement les pays non industrialisés au nom de la priorité donnée à leur développement.
Le triptyque de l’accord de Paris
Ce virage débouche sur l’accord de Paris qui repose sur un nouveau triptyque : une cible partagée de « neutralité climatique » (ou « zéro émissions nettes ») à atteindre le plus rapidement possible avant la fin du XXIe siècle ; sa déclinaison en objectifs intermédiaires via des contributions nationales à réévaluer tous les cinq ans ; une solidarité à construire pour aider financièrement les pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique.
Depuis la COP22 de Marrakech où l’annonce du nouveau retrait américain a fait l’effet d’une douche froide, le processus de négociation a semblé à nouveau s’enrayer. Seule avancée, très maigre : l’adoption en 2018 à la COP24 de Katowice (Pologne) d’un Rule Book(4), codifiant les règles de mise en œuvre pratique de l’accord, mais muet sur deux articles essentiels faute d’accord entre les parties : les instruments économiques (article 6) et la compensation des pertes et préjudices (article 8).
Le processus de réévaluation des contributions nationales qui devait déboucher en décembre 2020 sur une ambition globale renforcée n’a guère avancé. Seule l’Union européenne à 27 et le Royaume-Uni sont en passe de déposer des engagements pour 2030 dépassant ceux datant de 2015. Avec la crise sanitaire, la négociation a semblé se mettre aux abonnés absents. Initialement programmée pour décembre 2020 à Glasgow, la COP26 a été reportée d’un an(5). C’est donc à distance que les négociateurs souffleront les cinq bougies de l’anniversaire de l’accord de Paris.
Les raisons de l’accélération
Pour fêter dignement un anniversaire, on ne peut pas se contenter de regarder dans le rétroviseur. Il faut se projeter dans le futur. Doit-on se résigner à la poursuite de cette interminable course de lenteur ? 30 ans après le premier rapport du GIEC et 5 ans après la signature de l’accord de Paris, nous pourrions au contraire assister à la grande accélération tant attendue de l’action climatique globale. Un alignement de trois facteurs pourrait y contribuer.
En premier lieu, le monde est en train de vivre une rupture historique en matière énergétique. Depuis le début du XXe siècle, les énergies fossiles ont gagné à peu près toutes les batailles en matière de coûts relatifs(4). Un bouquet d’innovations majeures intervenues durant les deux premières décennies du XXIe siècle est en train de changer la donne : avec la baisse des coûts à la production des énergies éoliennes et solaires(6), conjuguée à celle du stockage de l’électricité et de la gestion intelligente des réseaux, les sources renouvelables deviennent chaque jour plus compétitives. Leur déploiement fournit des alternatives crédibles aux sources fossiles. Il permet d’accélérer l’accès à l’énergie dans les pays moins avancés sans passer par la case fossile.
En second lieu, il faut compter avec les résultats de l’élection présidentielle américaine. Le retrait américain décidé par Donald Trump n’aura constitué qu’une parenthèse éphémère. Élu sur un projet de relance du charbon, son administration n’a rien relancé du tout. Joe Biden s’est déjà engagé à revenir dans l’accord de Paris dès sa prise de fonction, début 2021. Le grand enjeu de son administration sera de passer à la vitesse supérieure en amorçant le retrait du pétrole et du gaz. Cela lui permettrait de déposer en 2021 une contribution nationale significativement renforcée par rapport à celle de l’administration Obama datant de 2015. C’est à l’aune de cette contribution que sera jugée la crédibilité du retour américain.
Enfin, le come-back américain pourrait avoir des effets d’entraînement. Si l’Europe a déjà effectué ses arbitrages avec le « Green Deal » et que Pékin s’est engagé sur une cible de neutralité carbone à l’horizon 2060, les principaux enjeux concernent le « reste du monde », devenu le moteur principal de l’accroissement des émissions.
Le retour américain pourrait ainsi inciter les autres grands producteurs d’énergies fossiles (Russie, Proche-Orient, Australie, Canada, Indonésie…) à s’engager dans la transition énergétique en amorçant la restructuration de leurs infrastructures. Il devra aussi contribuer à accroître massivement les transferts de ressource vers les pays moins avancés – l’Afrique subsaharienne notamment – pour y favoriser une dynamique nouvelle de développement bas carbone.
Rendez-vous à Glasgow en novembre 2021 !
Ces trois facteurs d’accélération ne risquent-ils pas d’être balayés par la catastrophe sanitaire qui s’est abattue sur le monde avec la Covid-19 ?
En 2021, la lutte contre la pandémie mondiale et la remise en route des économies vont constituer deux priorités auxquelles aucun gouvernement ne pourra se soustraire. D’où la crainte exprimée par de nombreux militants que le climat passe à nouveau derrière les urgences du court terme et que le redémarrage économique favorise un « effet rebond » des émissions.
L’élection américaine l’a pourtant montré jusqu’à la caricature : le candidat le moins mobilisé par la lutte contre la pandémie était celui ignorant le risque climatique. Comme je l’ai analysé en détail dans mon dernier ouvrage Covid-19 & Réchauffement climatique, climatoscepticisme et déni face au risque pandémique marchent de concert.
La lutte contre les risques épidémiques et celle contre le risque climatique se renforcent mutuellement. Il y a donc un chemin pour remettre en route l’économie mondiale en soutenant à la fois notre résilience face au risque épidémique et face au réchauffement global.
Une vision idéaliste, déconnectée des réalités ? Réponse en novembre 2021 à la COP26 de Glasgow.
- Accord de Paris.
- Changement climatique : les évaluations du GIEC de 1990 et 1992.
- Journée internationale de la protection de la couche d'ozone - 16 septembre, Nations unies.
- The Katowice Rulebook.
- La COP 26 est reportée.
- Examining energy transitions: A dozen insights based on performance.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.