Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Deux ans après le succès diplomatique de l’Accord de Paris, les avertissements se multiplient.
Précédant de peu l’ouverture de la COP23 à Bonn, le rapport « Emissions Gap »(1), document préparé par l’agence environnementale de l’ONU, rappelait que la stricte application des engagements de l’Accord de Paris – une hypothèse assez surréaliste à l’ère des Trump et Poutine – ne serait pas en phase avec l’objectif de limiter le réchauffement en dessous de 2 °C.
Nouveau signal d’alarme à mi-parcours de la conférence : d’après le rapport annuel du Global Carbon Project, les émissions mondiales de CO2 sont probablement reparties à la hausse en 2017, après trois années de stabilisation.
Engagé depuis plus d’un quart de siècle, le processus de négociation onusien sur les changements climatiques s’apparente à une course de lenteur. Et l’Accord de Paris n’a nullement modifié les règles de ce « waiting game ». Prototype de la « COP de transition », comme celles trop nombreuses, qui se sont déroulées entre Copenhague (2009) et Paris (2015), la conférence de Bonn n’était par exemple censée apporter d’autre résultat que… la préparation du rendez-vous de 2018.
L’an prochain, la révision des contributions nationales censée aboutir à un rehaussement des ambitions devrait s’enclencher. Pendant ce temps, la concentration de gaz à effet de serre continue d’augmenter au-dessus de nos têtes et la perspective d’une maîtrise du risque climatique, de s’éloigner. Cette contrainte de temps est un paramètre majeur, et mal compris, de la négociation climatique. Car le climat que les Terriens connaîtront vers 2050 sera largement déterminé par le cumul des émissions que nous avons déjà envoyé dans l’atmosphère comme nous l’avons rappelé dans une récente contribution. Le temps est donc compté pour aligner nos trajectoires d’émission avec l’objectif de limiter le réchauffement à 2° C.
Pour se mettre en phase avec les objectifs de l’accord de Paris, la transition bas carbone doit court-circuiter les cycles d’exploitation de la ressource fossile...
Si le rythme de la diplomatie des hommes semble décalé relativement à celui exigé par les contraintes climatiques, la COP23 a montré combien les initiatives restent nombreuses pour opérer la transition bas carbone dans le monde des autorités locales, des villes, de la société civile et du monde économique. Ajoutons que certaines coalitions créées dans la foulée de l’accord de Paris, comme celles destinées à promouvoir l’énergie solaire ou, plus nouveau, celle constituée à Bonn pour éliminer le charbon des mix énergétiques tirent dans le bon sens.
Ces initiatives peuvent-elles suppléer aux défaillances des États ? Dans le double contexte de la mondialisation et de la révolution numérique, ces derniers semblent avoir perdu une partie de leur capacité d’action. Mais les États conservent malheureusement leur pouvoir négatif de nuisance ou de freinage des mutations par ailleurs indispensables. Or, dans sa forme actuelle, l’accord de Paris ne permet pas de contrer ce pouvoir de nuisance des États.
On le voit de façon caricaturale avec le revirement de l’administration américaine pour laquelle prolonger le plus longtemps possible l’exploitation de la ressource fossile est une façon de respecter l’engagement d’une campagne électorale dominée par le slogan : « America first ! ». Le problème est que derrière ce revirement se cachent de multiples « passagers clandestins » qui freinent, voir minent le processus de négociation.
Pour se mettre en phase avec les objectifs de l’accord de Paris, la transition bas carbone doit court-circuiter les cycles d’exploitation de la ressource fossile. Autrement dit, laisser sous nos pieds une grande partie du charbon, du pétrole et du gaz économiquement exploitables. Opérer une telle mutation dans les temps requis implique d’accélérer la négociation sur le climat en la recentrant sur l’essentiel : les instruments économiques basés sur le prix du carbone qui permettraient d’accélérer la sortie des fossiles et de contrarier les stratégies multiformes des passagers clandestins. C’est sur ces volets que devrait se concentrer le rendez-vous fixé le 12 décembre à Paris, si on veut remettre le rythme de la négociation climatique en phase avec celui imposé par l’horloge climatique !