Florian Fizaine, Maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Savoie Mont Blanc
Clément Bonnet, Maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Montpellier et au sein du laboratoire ART-Dev
L’enjeu crucial de la décennie à venir est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre en mobilisant, d’une part, des énergies décarbonnées et en améliorant, d’autre part, l’efficacité énergétique de nos économies dans le but de « faire autant avec moins ».
La priorité donnée au déploiement des technologies des énergies renouvelables a fait émerger de nouvelles problématiques liées aux matières premières. Si le soleil ou le vent sont certes des énergies primaires renouvelables, les technologies permettant de les transformer en énergie utile à nos sociétés sont dépendantes, entre autres, aux métaux. Cette réalité englobe l’ensemble des technologies de l’énergie bas carbone qui, en comparaison des technologies fossiles, sont plus intensives en métaux(1).
Parmi ces dépendances nouvelles, c’est celle aux métaux rares (large catégorie de métaux incluant les terres rares) qui a fait couler le plus d’encre. Suite à la forte croissance des marchés des énergies renouvelables, des articles académiques ont alerté sur le risque pour la transition énergétique que constitue une rupture d’approvisionnement en terres rares(2) et des institutions se sont saisies de la question(3). Enfin, un ouvrage publié en 2018 par Guillaume Pitron intitulé « La Guerre des métaux rares » a également participer à inscrire cette question dans le débat public – opération renouvelée avec la diffusion en 2021 d’un documentaire adapté de ce même ouvrage.
Les métaux rares sont jugés « critiques » à l’échelle mondiale et pour les filières bas carbone s’ils :
- sont importants pour le développement de ces filières ;
- subissent un risque de rupture d’approvisionnement ;
- induisent des dommages environnementaux suffisamment importants pour compromettre la pertinence écologique de leur production.
La facture environnementale de la transition est-elle une question ?
La facture environnementale des énergies renouvelables est-elle réellement plus élevée que celle du maintien d’un système énergétique fondé sur les énergies fossiles ? Pour y répondre, il faut tenir compte de l’ensemble des étapes de production de ces technologies et des pollutions qui y sont associées. C’est l’approche suivie par les analyses de cycles de vie qui portent sur le sujet(4) et qui ne laissent pas de place au doute en concluant à un bilan écologique positif pour les énergies renouvelables.
Cela ne signifie pas qu’elles ne polluent pas mais qu’en comparaison des énergies fossiles, elles permettent un système énergétique avec une empreinte écologique moindre. Ainsi, laisser penser que la pollution liée aux terres rares que contient l’aimant permanent d’une éolienne offshore est d’une importance comparable à celle que génère une centrale charbon revient à confondre les ordres de grandeur.
À titre d’illustration, on peut comparer les émissions de gaz à effet de serre imputables à l’énergie éolienne avec celles des énergies fossiles. Un kWh d’électricité d’origine éolienne émet entre 6,4 et 8,5 g de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie. Ce chiffre monte à 530 g de CO2/kWh pour le gaz et 930 g de CO2/kWh pour le charbon.
On pourra opposer à cette comparaison de ne s’intéresser qu’aux émissions de GES qui ne constituent hélas pas la seule menace qui pèse sur les écosystèmes, mais l’empreinte écologique de l’éolien reste également moindre en comparaison des énergies fossiles pour d’autres types de pollutions (écotoxicité, particules, acidification terrestre, etc.). Dans ce contexte, quelle est la contribution des métaux rares à la pollution que génèrent les énergies renouvelables ? Faible en comparaison des autres matières premières utilisées comme les métaux structurels tels que le cuivre ou l’aluminium. En effet, les 150 kg de terres rares (néodyme) utilisés dans l’aimant permanent d’une éolienne offshore ne pèsent qu’environ 0,05 g de CO2/kWh, soit moins d’un pourcent de son empreinte carbone globale.
L’importance économique des métaux rares
Évaluer l’importance économique des métaux rares pour les filières bas carbone conduit à un paradoxe. Si les propriétés particulières des métaux rares en font dans certains cas des ressources nécessaires à ces filières, sans perspectives de substitution à court terme, le fait est que les métaux rares sont des coproduits. Leurs productions dépendent donc des autres métaux dont elles sont les coproduits. Par exemple, il n’existe pas de mine d’indium mais des mines de zinc dont on pourra extraire une fine proportion d’indium.
La demande pour les métaux rares est ainsi assujettie aux dynamiques d’offres en place sur d’autres marchés, ce qui se traduit par une forte volatilité des productions et des prix. Ces derniers offrent alors une information relativement pauvre aux acteurs économiques qui décourage la mise en place d’une gestion soutenable de ces ressources.
De ce statut de coproduit découle des caractéristiques bien spécifiques. Parmi celles-ci, la plus inquiétante est la faible proportion de métaux rares étant recyclée. Ces métaux si particuliers souffrent d’usages fortement dissipatifs. Par exemple, dans les produits du numérique, ils sont présents en une quantité trop petite pour justifier le coût du traitement des déchets et leur recyclage à des fins de récupération des métaux rares(5). Concrètement, il demeure moins coûteux d’extraire des métaux rares en tant que coproduits que de les recycler, malgré les différences des deux opérations en termes d’empreintes écologiques.
Le risque de rupture d’approvisionnement
L’organisation actuelle des marchés des terres rares ne permet qu’une couverture limitée contre le risque d’approvisionnement. Tout d’abord, il n’existe pas de bourses organisées pour des contrats à terme qui porteraient sur la fourniture d’une certaine quantité de métaux rares à une date et un prix fixés à l’avance sur le marché de manière publique.
Les contrats à terme sur les métaux rares sont donc conclus de gré-à-gré, faisant ainsi des quantités échangées et des prix de vente des informations privées. Cette organisation génère une forte volatilité des prix sur les marchés au comptant, dits marchés spots, qui se retrouvent exposés à d’importants déséquilibres de court terme entre l’offre et la demande. Par ailleurs, les marchés des métaux rares sont fortement affectés par les dynamiques des marchés de métaux de base en période de faible volatilité ainsi que par celles des marchés financiers en période de forte volatilité, rendant la prédictibilité des prix d’autant plus délicate(6).
Le quasi-monopole de la Chine sur la production des terres rares, qui avoisinait 90% de la production mondiale à la fin de la décennie 2000, participe également à accroitre le risque de rupture d’approvisionnement. Dès 2006, le gouvernement chinois a mis en place des mesures visant à renforcer son contrôle sur l’industrie chinoise des terres rares. Mais ce n’est qu’en 2010 que les importateurs de terres rares réalisent soudainement l’ampleur du pouvoir de marché chinois. La mise en place de quotas d’exports par la Chine, équivalant dans un premier temps à 55% de la demande étrangère, couplée à la levée de taxes sur ces exports et à un embargo sur le Japon entre septembre et novembre contribueront à l’explosion des prix des terres rares, mettant les pays industrialisés face à leur dépendance.
La levée de taxes et des quotas en 2015 a marqué une nouvelle étape dans la reprise en main par Pékin de l’industrie des terres rares. Le scandale du Fanya Metal Exchange illustre en effet l’opacité de cette industrie. Cette plateforme d’échanges située à Kumming dans le sud de la Chine lancée en 2011 a active jusqu’en 2015 se vantait d’être la plus grande plateforme dédiée au trading des terres rares. Elle promettait des retours sur investissements généreux aux épargnants chinois jusqu’à être mise en examen pour défaut de paiement d’intérêts à 220 000 épargnants et un total de 6,2 milliards d’euros. La plateforme fonctionnait selon une chaîne de Ponzi et l’affaire a déclenché des vagues de protestations dans le pays pointant notamment le manque de régulation de la part du pouvoir central et les affaires de corruption qui entouraient ce montage financier. Il est en effet difficile pour Pékin de connaitre avec précision la quantité de terres rares produites et stockées sur son territoire. La production de contrebande est importante, elle représentait à minima 30% de la production nationale en 2017(7). Pékin a depuis lutté contre cette production de contrebande, mis en place des taxes sur les productions régionales et restructuré l’industrie en six opérateurs publics, avant d’annoncer une nouvelle restructuration avec uniquement deux firmes géantes et publiques qui géreront la production de matières premières.
Cette reprise en main par Pékin de l’industrie n’a pas vocation à calmer les tensions commerciales autour des terres rares mais bien à assurer que la mainmise sur les terres rares bénéficie aux industries chinoises. En effet, dès 2012 un Livre Blanc du Conseil d’État pointe la forte diminution des réserves de terres rares lourdes dans la province de Jiangxi, premier producteur de ces métaux au monde. La réussite de la stratégie « Made in China 2025 », mise en place en 2015 et qui vise à développer les capacités de production du pays dans les industries des nouvelles technologies (bas-carbone, robotique, IA, nouveaux matériaux), est donc conditionnée à un approvisionnement suffisant. La reprise en main de l’industrie des terres rares par Pékin marque la volonté de favoriser la demande intérieure(8).
Conclusion
À l’échelle globale, la disponibilité géologique des métaux rares tend à indiquer qu’ils ne seront pas critiques pour les technologies des énergies renouvelables. Leur déploiement à grande échelle est d’avantage compromis par la compétition géoéconomique des pays autour du leadership sur ces technologies ainsi que la prise de conscience tardive du poids de la Chine dans cette industrie.
Plusieurs options sont envisageables pour réduire ce risque de criticité. Elles doivent privilégier une approche systémique qui inscrit la transition énergétique dans le projet plus global de la transition écologique. Ainsi, il faut viser à renforcer la souveraineté technologique de l’Europe et à la mettre au service du développement de technologies les moins polluantes possibles. Par exemple, les éoliennes peuvent se passer d’aimants permanents et donc de terres rares. Cette filière des générateurs à électro-aimants doit être soutenue via des pénalités imposées aux générateurs à aimants permanents qui reflèteront le coût écologique des terres rares.
De même, dans un contexte de raréfaction des ressources minérales, des règlementations doivent être mises en place pour imposer aux concepteurs de technologies nouvelles d’intégrer dès la phase de développement l’enjeu du recyclage en vue d’en diminuer le coût. Enfin, la transformation du secteur électrique doit être guidée par l’objectif de réduction des pollutions associées à la génération d’électricité. Ainsi la question de la réduction de notre consommation d’énergie doit être posée avant de déployer des nouvelles capacités de production en vue d’éviter l’empilement des capacités énergétiques auquel nous assistons aujourd’hui.
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