La vision de…
Dominique Mockly
Président-directeur général de Teréga (anciennement TIGF)
Il y a 30 ans se mettait en place la dynamique coordonnée de réponse au réchauffement climatique. Cette dynamique globale, s’appuyant sur les travaux du GIEC, a conduit aux accords de Kyoto, puis de Paris. Ces 30 années de persévérance pour une approche commune ont ancré le climat dans l’esprit de (presque) tous.
Sur le plan technologique, cette dynamique a donné naissance à de nouveaux systèmes et permis leur diffusion (centrales solaires, éoliennes, hydroliennes, centrales biomasse, piles à combustible, etc.) mais sans vraie révolution. Les comportements de consommation ont toutefois changé. Ceux-ci ont entre autres été marqués par une plus grande sensibilité aux risques liés aux systèmes énergétiques, en particulier suite aux accidents de Tchernobyl et de Fukushima et au sujet des risques sanitaires liés à la pollution de l’air. Le « principe de précaution » est devenu le moteur et le frein potentiel d’une révolution énergétique technologique.
Ces dynamiques sociétales n’ont aucune raison de s’infléchir. Elles traduisent la transition d’une société de production de masse vers une société plus équilibrée, plus protectrice et qui envisage le futur à l’aune du développement « durable ». Elles vont faire également émerger, c’est une certitude, des modes de vie plus économes en énergie, en nourriture et globalement en ressources, en responsabilisant l’individu sur son comportement à l’échelle locale.
Ce mouvement local est essentiel à l’optimisation de nos besoins énergétiques croissants. Car les défis à relever à l’échelle de la planète sont nombreux: hausse des températures, augmentation de la population, concentration urbaine, etc. L’adaptation de notre société à ces évolutions reposera en grande partie sur l’énergie et ses usages : besoins croissants pour la désalinisation d’eau de mer, pour le recyclage des déchets, pour la transformation des composés carbonés et leur recyclage ou stockage, pour la mobilité « propre » ou « plus propre », pour la gestion des connexions et des données, etc.
A titre d’illustration, le cerveau, dont la capacité de calcul est de quelques pétaoctets et dont la consommation avoisine 20 watts, absorbe 20% de l’énergie produite par le corps humain alors qu’il compte pour seulement 2% de son poids. Reconnaissons que la demande énergétique liée à l’intelligence collective et à ses systèmes d’information augmentera de façon significative d’ici 2050 et que, là aussi, l’efficacité énergétique reposera sur la frugalité des composants, voire leur autonomie.
En outre, la montée du niveau de vie moyen des êtres humains, tout comme la robotisation, entraînera de fait une demande d’énergie nouvelle, mais stable le jour et la nuit, et d’autant plus grande que la région sera productive et sous stress calorique et hydrique. Face à de tels défis, toutes les sources décarbonées et à faible impact carbone (voire « décarbonables ») seront nécessaires, sans idéologie et avec réalisme, dans un mix énergétique et une organisation adaptés à la géographie/démographie/économie de chaque zone.
Dans ce contexte, les trente ans à venir seront des années d’optimisation plus que de ruptures. Si ruptures il doit y avoir, elles viendront de la micro-consommation, du recyclage, du traitement du CO2 et des usages. Les technologies seront au service de l’optimisation des infrastructures énergétiques pour une diminution des risques systémiques et une meilleure complémentarité, mais aussi de l’intelligence entre l’offre et la demande, ainsi que de la gestion de l’autonomie sans oublier les capacités de recyclage et de stockage.
Les principales révolutions viendront comme toujours des produits à usage des masses. Si pari technologique il doit y avoir, il viendra très certainement de l’infiniment petit pour gagner en autonomie et en frugalité. Tout cela s’appuiera sur une recherche technologique et mathématique pointue en optimisation des systèmes, en efficacité énergétique, en maîtrise à l’échelle nanométrique de l’énergie moléculaire et ondulatoire, en exploitation du fonctionnement atomique et chimique des molécules.
Enfin, sous l’impulsion de politiques publiques incitatives (taxe carbone, taxe particules, etc.), la gestion et la réduction des émissions polluantes et des nuisances sociétales seront par ailleurs une stimulation de l’ingénierie innovante et créatrice.
Tout cela se traduira par une rénovation des infrastructures reposant sur :
- des réseaux locaux, car les bâtiments économes en énergie, voire les quartiers des « villes connectées » ou des « villages autonomes », disposeront de leurs propres sources d’ « énergie de services », notamment pour la gestion des éclairages mais aussi pour la climatisation et pour les dispositifs intégrés de recyclage et d’arrosage. Déchargés du besoin de fournir l’énergie localement, les systèmes énergétiques produiront de l’énergie dans une organisation semi-décentralisée. Ils assureront à l’échelle régionale la production d’ « énergie productive » pour les besoins des transports propres régionaux, voire multirégionaux, des divers traitements de l’eau et de la production des biens et services ;
- des infrastructures interconnectées et « positives », car la place sera comptée et les énergies devront être les premières à démontrer leur impact positif pour la planète : émissions de CO2 limitées mais également empreinte au sol maîtrisée, réduction des déchets, réutilisation des sites anciens et remise aux normes, compensations des nuisances, etc. Le tout accompagné d’une diminution relative de la taille des infrastructures de production pour plus d’acceptabilité et une meilleure intégration dans les dispositifs multimodaux ;
- une intelligence systémique et des multiconnexions entre réseaux et types d’énergies. Intelligence qui permettra d’optimiser les consommations et d’assurer un stockage intelligent, de type « Power to Gas », ou la concentration des émissions de CO2. Intelligence au service de la fluidité de l’énergie grâce à ses divers modes de transport mais également maillage intelligent des grands types de réseaux, pour éviter leur multiplicité et mieux prendre en compte les diverses sources de production et de stockage ;
- des transports entre robotisation et liberté. Les transports seront l’exemple le plus flagrant de cette mutation hybride qui entraînera des révolutions industrielles et des changements importants de comportement : transports maritimes au GNL avec recyclage des émissions de CO2, avions électriques, à réacteurs au méthanol, transports urbains mixtes (électriques/gaz/hydrogène), voitures individuelles régulées en ville et sur les grandes artères (voitures autonomes), etc.
Vision sans rupture ne veut pas dire sans évolution, vision sans rupture ne veut pas dire défaut de vision. Le mix énergétique optimisé dont il est question ici générera croissance et bien être sous la forme d’une meilleure « urbanisation de la planète » (urbanisation énergétique, de transport, d’information et de flux humains).
C’est également ce mix énergétique qui facilitera l’apport important d’énergie dans les zones qui en ont le plus besoin tout en préservant notre planète. Fini le charbon pour l’électricité et le chauffage, fini le pétrole dans les transports et le chauffage, des gaz et de l’électricité sous toutes leurs formes avec recyclage et stockage du CO2 accompagnée, pour le nucléaire, d’une décroissance de la taille des centrales et d’une flotte symbiotique facilitant le traitement des déchets. Les énergies renouvelables viendront répondre aux enjeux locaux et les gaz aux besoins généraux.