Exploitation minière : les terrils, dangers oubliés et patrimoine retrouvé

Diana Cooper-Richet

Historienne
Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay

Tous ceux qui suivent la série The Crown ont pu assister, dans le deuxième épisode de la saison trois, au dramatique effondrement d’un terril qui eut lieu dans la petite ville minière d’Aberfan dans le sud du pays de Galles, le 20 octobre 1966. Rares, pourtant, ont été les accidents de ce type dans l’histoire de l’exploitation minière dans le monde.

Traditionnellement, les grands ennemis des hommes de la mine – et de leurs familles – sont réputés être au nombre de trois :

  • l’air vicié de « grisou » ou « terrou », un gaz difficile à détecter qui asphyxie, qui prend feu et explose dans les galeries, comme lors de la catastrophe de Courrières qui fit 1 099 victimes le 10 mars 1906(1) ;
  • l’eau qui provoque des inondations comme le met en scène Hector Malot dans Sans famille (1878), lorsqu’une rivière en crue envahit une mine dans les Cévennes ;
  • la terre, enfin, qui est à l’origine de nombreux éboulements au fond. Petits ou grands, ils sont responsables de la plupart des accidents au quotidien.

Mais les terrils, amoncellements de déchets remontés des profondeurs, ne figurent pas au nombre des dangers redoutés des mineurs, tant leurs effondrements sont exceptionnels dans l’histoire de l’exploitation minière.

Amoncellement de déchets

Dans les premiers temps de l’exploitation souterraine, les déchets sont laissés au fond. Vers le milieu du XIXe siècle, ils sont progressivement amenés à la surface et entassés à l’extérieur du puits, à l’aide de petits wagonnets mus manuellement. La mécanisation progressive des mines voit naître les premiers terrils. Avec le temps, ils deviennent de plus en plus grands et de plus en nombreux, au point de faire désormais partie intégrante du paysage minier, partout dans le monde.

Les terrils sont connus pour être des sources de chaleur qui se consument de l’intérieur pendant des années – jusqu’à 30, voire 50 ans –, comme à la Ricamarie dans la Loire. À Alès (Gard), à l’automne 2004, quarante ans après la fermeture du dernier puits de ce bassin, deux terrils, un très ancien et un autre plus récent, constitué entre 1945 et 1975, sont entrés en combustion(2) à plus de 900°C. Il en a été de même à Tcheliabinsk dans le sud de l’Oural(3) et au Portugal dans le Douro.

Les terrils peuvent aussi, parfois, s’effondrer. Dans les années 1930, à Donetsk en Ukraine, des bâtiments de trois étages ont été ensevelis à la suite de l’éboulement d’un « terikon »(4). Aujourd’hui encore, ce bassin minier en compte quelque 600. Elles constituent les seules montagnes de la région.

À Aberfan, un accident sans précédent

Trois décennies plus tard, la catastrophe d’Aberfan va endeuiller à jamais cette petite communauté minière. C’est un terril de 40 mètres de haut – seuls, semble-t-il, des monticules ne dépassant pas les six mètres étaient officiellement autorisés – érigé sur une petite colline sous laquelle coule une source, qui s’effondre. 230 000 m3 de déchets miniers se déversent, dans un bruit apocalyptique et avec une violence inouïe sur l’école du village, ôtant la vie à 109 écoliers et 5 de leurs enseignants, ainsi qu’à huit autres adultes, soit au total 144 victimes(5).

La menace que représentait ce terril était pourtant connue. Il était trop élevé et en surplomb des maisons, mais le dénoncer risquait d’accélérer la fermeture de cette mine, considérée comme de moins en moins rentable.

Moins de 10 ans plus tard, le 26 août 1975, en pleine nuit à Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais), nouveau drame. Cette fois, le terril prend feu et explose. Bilan : six morts, 47 maisons détruites et trois hectares de terrain sont recouverts de cendres(6). À Herstal (Belgique), dans le quartier de la Préalle, à la mine de la Petite Bacnure, le 1er avril 1999, un terril s’affaisse, sans faire de victime, sur sept habitations. Pendant plusieurs années, il a continué à barrer la route et laissé derrière lui un spectacle de désolation.

À long terme, au-delà de l’éventualité qu’un terril se consume lentement avant d’exploser, il y a toutes les substances nocives pour l’environnement que certains d’entre eux contiennent et laissent échapper. En octobre 1992 un ancien et très important terril, composé de 600 000 m3 de résidus différents – oxydes de fer, aluminium, silicium, sodium, titane, calcium – laissés derrière lui par Aluminium Péchiney, s’est effondré. Constitué au cours de la première moitié du XXe siècle, il est coincé entre la voie ferrée Marseille-Aubagne et L’Huveaune, principale rivière se jetant dans la mer au niveau de la cité phocéenne(7).

Il continue à déverser dans les eaux souterraines des concentrés de radionucléides, des éléments instables donc potentiellement dangereux. Son impact chimique et radiologique sur l’environnement est loin d’être inoffensif. Sur le terrain d’une ancienne compagnie pétrolière, un terril de plus de quatre mètres de haut s’est effondré en octobre 1996. La coulée menaçait une ferme implantée plus bas, dont le bâtiment se fissurait. Enfin, du méthane qui s’échappait faisait craindre une explosion(8) !

Pourtant, malgré leur dangerosité, les terrils font partie des lieux de mémoire de la mine. À Denain (Nord) le terril Renard, qui tire son nom de la fosse éponyme, est de ceux-là. Le puits creusé en 1836 a été fermé en 1948, après plus d’un siècle d’exploitation(9). C’est sous la conduite du jeune ingénieur Louis Mercier qu’Émile Zola, préparant Germinal, descend à 675 m de profondeur dans cette fosse le 25 février 1884(10). C’est également là que travailla pendant plus de 45 ans, le père du truculent personnage de mineur connu sous le nom de Cafougnette(11), Jules Mousseron (1868-1943) le célèbre mineur, poète et chansonnier.

Le 28 décembre 2016(12), 78 terrils formant une chaîne, situés dans ce qui était le bassin du Nord et du Pas-de-Calais, ont été jugés dignes d’appartenir au patrimoine national au titre de la loi du 2 mai 1930 « ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels… ». Certains d’entre eux ont été rendus à la nature, voire à l’expérimentation agronomique, d’autres sont désormais dédiés aux loisirs. Le terril de Pinchonvalles à Avion (Pas-de-Calais), est le plus long d’Europe. Entièrement boisé, il fait la joie des naturalistes et des amateurs de champignons. Son biotope est d’une grande richesse. Espèces animales et végétales rares y cohabitent, comme ces pommiers de variétés anciennes, issues des pépins laissés au fond par les mineurs d’antan à l’heure du « briquet »(13), surnom donné au casse-croûte dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais.

Pour les fous de glisse, un terril de 129 mètres de haut a été aménagé en piste de ski, à Noeux-les-Mines dans le Pas-de-Calais. Le complexe Loisinord(14) attire également les foules avec son grand stade nautique. Enfin, les terrils jumeaux (11 et 19) de Loos-en-Gohelle, les plus hauts d’Europe avec leurs 186 mètres, ont été aménagés pour les promeneurs. Non loin de là se trouve le Louvre-Lens, musée et lieu d’exposition.

À Aberfan, le Memorial Cemetery and Garden a été construit sur le site de la Pantglas School. Lieu de mémoire émouvant, avec ses arches de pierre blanche représentant chacune une des petites victimes(15), il a été inauguré par la reine en mars 1973, avec dépôt d’une couronne de fleurs. Voulait-elle, ce faisant, faire taire les critiques que lui avait valu le retard avec lequel elle s’était rendue sur place sept ans plus tôt et dont la série The Crown se fait l’écho ? Elle s’y rendra à plusieurs reprises, par la suite, en 1997, puis en 2016 à l’occasion du 50e anniversaire du drame d’Aberfan.

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Commentaire

Elodie

Le méthane des terrils du Nord de la France est exploité par la société Gazonor / Française de l'énergie, ce qui semble aller dans la continuité d'une ressource locale d'énergie, certes fossile, mais ce gaz employé localement pour des besoins énergétiques (chauffage, mobilité...) partirait de toute façon dans l'atmosphère avec une capacité d'effet de serre 100 fois plus important que le CO2... Et pour la petite histoire, le terril d'Haillicourt accueille des vignes... et le délicieux "Charbonnay" d'Olivier Pucek

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