Selon les fournisseurs alternatifs, de nombreux consommateurs français hésitent encore à changer de fournisseur en raison de « freins psychologiques ». (©EDF-Philippe Marini)
La filiale française de l’énergéticien Eni a annoncé le 28 mars son arrivée en France sur le marché de l’électricité pour les particuliers, avec d’importantes ambitions. Malgré des offres attractives, les fournisseurs alternatifs d’énergie mettent toutefois du temps à conquérir les consommateurs particuliers en France.
Des ménages « libres » mais encore attachés aux tarifs réglementés
Cela fait presque 10 ans que les ménages français sont libres de choisir leur fournisseur d’énergie. Avant juillet 2007, ces consommateurs étaient soumis aux seuls tarifs réglementés de vente (TRV), fixés par les pouvoirs publics et proposés uniquement par les fournisseurs dits « historiques » (principalement EDF pour l’électricité et Engie pour le gaz mais aussi des « ELD » implantées localement).
Depuis l’ouverture à la concurrence, les consommateurs français peuvent souscrire à une offre dite « de marché » auprès d’un fournisseur historique ou « alternatif » avec un prix déterminé par contrat. Dans son dernier Observatoire des marchés de détail(1), la CRE cite une quinzaine de fournisseurs alternatifs proposant des offres aux particuliers sur l’ensemble du territoire français(2) pour l’électricité et une dizaine pour le gaz.
Malgré ce large choix et de nombreuses offres de marché moins chères que les tarifs réglementés, les ménages restent très largement soumis à ces derniers pour la fourniture d’électricité : seuls près de 14% des 32,1 millions de clients « résidentiels »(3) en France avaient souscrit une offre de marché à fin 2016(4). Pour la fourniture de gaz naturel, le constat est moins défavorable pour la concurrence : plus de 46% des 10,6 millions de clients « résidentiels » en France avaient souscrit des offres de marché à fin 2016, dont près de la moitié auprès de fournisseurs alternatifs.
A fin 2016, près de 85,8% des consommateurs « résidentiels » d’électricité étaient encore soumis à des tarifs réglementés. Pour le gaz naturel, cette proportion tombe à 52,6%. (©Connaissance des Énergies)
Une ouverture à la concurrence plus lente sur le marché de l’électricité
Si l’ouverture à la concurrence du marché du gaz est plus avancée que celle de l’électricité, c’est entre autres, selon Julien Tchernia, dirigeant d’ekWateur (fournisseur alternatif ayant lancé son offre grand public en septembre 2016), car GDF (devenue Engie) « a eu une démarche marketing basée sur la promotion de prix et d’offres, ce qui a fait comprendre aux Français qu’il existait une alternative » alors que les tarifs réglementés du gaz étaient « historiquement très élevés ».
Pour Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie chez UFC-Que Choisir, la plus grande concurrence sur le marché de détail du gaz est aussi due à la structure de l’approvisionnement : « les fournisseurs de gaz peuvent facilement s’approvisionner en gaz en différentes points » tandis que le marché de la production électrique en France n’est « pas vraiment concurrentiel au regard du poids du nucléaire et de sa compétitivité ».
Pour contrebalancer cet avantage « historique » d’EDF, le dispositif « ARENH » permet depuis juillet 2011 aux fournisseurs alternatifs de racheter une partie de la production électrique nucléaire de l’électricien historique à un prix « coûtant » régulé (intégrant notamment les coûts d’exploitation et de nouveaux investissements de maintenance). Cette mesure « palliative » ne règle toutefois pas le vrai problème de l’accès à la production pour Nicolas Mouchnino qui doute qu’une réelle concurrence en matière de production puisse émerger d’ici à fin 2025, date à laquelle l’ARENH est censé disparaître.
Pour Eni, le retard pris par le marché de l'électricité en matière d'ouverture à la concurrence constitue aussi « un potentiel de développement énorme », alors que les prix de l’électricité sur les marchés de gros sont peu élevés.
Des consommateurs plus informés mais réticents au changement
Le taux de changement de fournisseur (« switch ») reste encore lent bien qu’il se soit un peu accéléré au 4e trimestre 2016 selon les dernières données de la CRE. Cette légère accélération est principalement due à la campagne d’achat groupé d’UFC-Que Choisir « Energie moins chère ensemble » clôturée en décembre 2016, à laquelle plus de 100 000 consommateurs ont souscrit (électricité et gaz confondus), avec notamment un prix de l’électricité garanti en baisse de 23% par rapport au tarif réglementé(5).
Cette campagne vise naturellement à stimuler la concurrence (les fournisseurs alternatifs étant encore relativement « peu agressifs » dans leurs offres selon Nicolas Mouchnino) mais aussi à informer davantage les consommateurs qui ont encore certaines réticences à changer de fournisseur.
Dans un récent sondage de l’Ifop commandé par Eni, 76% des personnes interrogées jugent « bénéfique » l'ouverture à la concurrence du marché de l’électricité (78% pour le gaz). Ils déclarent toutefois privilégier une plus grande sobriété dans leurs foyers (pour la moitié d’entre eux) pour faire baisser leurs factures d’énergie plutôt qu'un changement de fournisseur (envisagé par seulement 10% des personnes interviewées). Un effort de pédagogie reste ainsi nécessaire, y compris de la part des fournisseurs alternatifs. De nombreux consommateurs déclarent notamment craindre à tort une fourniture d’électricité dégradée s’ils s’adressent à des fournisseurs alternatifs.
Les fournisseurs historiques ont également une certaine « responsabilité » pour Nicolas Mouchnino, qui fait référence à la décision de l’Autorité de la concurrence, la semaine dernière, de sanctionner Engie à hauteur de 100 millions d'euros « pour avoir abusé de sa position dominante en s'appuyant notamment sur son fichier historique pour convertir ses clients aux tarifs réglementés du gaz
à des offres de marché de gaz et d'électricité »(6).
Au 4e trimestre 2016, 1,8% des clients résidentiels consommant de l’électricité ont, selon la CRE, « switché » d’un fournisseur à un autre. (©Connaissance des Énergies)
Vers une suppression des tarifs réglementés ?
Pour rappel, les tarifs réglementés ont été supprimés pour les « gros » consommateurs (grands sites industriels, grands immeubles, etc.) de façon progressive entre juin 2014 et janvier 2016. La Commission européenne plaide pour que les tarifs réglementés dont disposent les ménages soient également supprimés pour augmenter la concurrence.
Cette suppression est souhaitable selon Julien Tchernia, pour qui les tarifs réglementés « entretiennent l’illusion que l’État fixe les prix de l’énergie et protège les consommateurs, alors qu’ils sont en réalité calculés pour couvrir les coûts des opérateurs historiques et leur assurer une marge raisonnable » (loi Nome).
Pour Nicolas Mouchnino, ces tarifs réglementés restent toutefois « un référentiel pour positionner les offres », sous réserve qu’ils reflètent bien tous les coûts des opérateurs, ce qui n’a pas été toujours le cas lors des dernières années (ce qui a entraîné des « rattrapages » de factures par la suite).
Ces tarifs réglementés permettent par ailleurs de servir de « plafond » pour les offres selon Nicolas Mouchnino, bien que certaines offres « particulières » (par exemple « 100% électricité verte ») soient plus chères. A ce sujet, Julien Tchernia souligne que le prix n’est pas le seul moteur de changement des consommateurs particuliers : 20% des clients d’ekWateur ne réalisent pas d’économie sur leur facture(7) par rapport aux tarifs réglementés mais souscrivent des offres renouvelables par « appétence pour l’écologie ».