- Source : Ifri
L’Ukraine a historiquement constitué une voie de transit privilégiée pour le transport du gaz russe vers l’Europe de l’Ouest(1). Depuis la chute de l’URSS, les relations russo-ukrainiennes se sont périodiquement tendues : 2 crises majeures ont perturbé l’approvisionnement gazier européen en 2006 et 2009 avant même qu’un nouveau différend sur les prix du gaz n’envenime plus durablement ses relations en 2014 (avec l’annexion de la Crimée).
Dans cette étude en anglais publiée par le Centre Russie/NEI de l’Ifri, Aurélie Bros, chercheuse à la Higher School of Economics de Moscou, décrypte la stratégie de Gazprom pour acheminer son gaz naturel vers l’Europe de l’Ouest et contourner la voie de transit ukrainienne. Elle détaille la mise en œuvre de cette stratégie, passant notamment par le projet Nord Stream en mer Baltique. Les différentes contraintes, notamment réglementaires et financières, qui affaiblissent le géant gazier, sont enfin présentées en fin d’étude.
Malgré ses tentatives depuis le milieu des années 1990, Gazprom a échoué à contrôler efficacement le transport de gaz sur le territoire ukrainien. Le groupe a pris l’habitude de négocier le coût de transit parallèlement au prix de vente du gaz à ce pays (à bas prix dans les deux cas) mais il est aujourd’hui contraint de repenser cette stratégie. En juin 2014, le vice-président de Gazprom Alexander Medvedev a affirmé que le transit du gaz à travers le territoire ukrainien cesserait d’ici à fin 2019. Cette ambition a toutefois été remise en cause par l’actuel directeur du groupe Alexeï Miller en juin dernier. La voie de transit ukrainienne n’est en effet pas entièrement remplaçable à l’heure actuelle.
Gazprom souhaite a minima poursuivre sa stratégie de diversification des voies d’acheminement. Entre 2009 et 2011, 60% à 70% du gaz russe exporté vers l'Europe transitait par l’Ukraine. Cette part a chuté à près de 40% en 2013/2014. Des projets majeurs de gazoducs portés par Gazprom avec des énergéticiens européens ont déjà permis dans le passé de diversifier les voies de transit : Yamal en 1999 reliant l’ouest de la Sibérie à l’Allemagne via la Biélorussie et l’Allemagne (capacité de transport de 33 milliards de m3 par an), Blue Stream en 2005 entre la Russie et la Turquie (capacité de 16 milliards de m3 par an) et enfin Nord Stream qui traverse la mer Baltique depuis 2011/2012 (2 gazoducs d’une capacité cumulée de 55 milliards de m3 par an).
Malgré les tensions entre la Russie et l’Union européenne (mises en lumière par l’arrêt du projet de gazoduc South Stream en décembre 2014), Gazprom entend maintenir, voire augmenter ses ventes de gaz sur le marché de gros européen. La libéralisation du marché gazier européen permet en outre au groupe russe de développer de nouvelles activités (principalement dans le transport et le stockage de gaz en Europe). Gazprom entend également devenir un acteur important du trading de gaz, notamment dans le nord de l’Europe.
Aurélie Bros rappelle que Gazprom a de nouveau montré, depuis l’été 2015, sa détermination à renforcer sa présence sur le marché européen en s’associant à des partenaires historiques. Début septembre, le groupe a signé avec les énergéticiens allemands BASF et E.ON, autrichien OMV, néerlandais Shell et français Engie un accord portant sur la construction d’ici à fin 2019 de deux nouveaux gazoducs sous la mer Baltique pour renforcer Nord Stream. Le groupe rencontre dans le même temps des difficultés sur son projet de gazoduc Turkish Stream (mer Noire) qui doit lui aussi permettre de diversifier les voies de transit du gaz russe.
(1) Ainsi que son stockage sur le territoire ukrainien.