Henri Conze

La vision de…
Henri Conze

Ancien délégué général pour l’armement (1993-1996)

L’humanité est confrontée à des défis suffisamment graves pour que les orientations à prendre pour leur faire face le soient avec le plus grand sérieux. Dans le domaine de l’énergie, combien de décisions prises sous l’emprise de l’émotion, de mesures insuffisamment étayées annoncées  dans l’urgence, d’idées et d’initiatives découlant, croyait-on, du simple bon sens, s’avérant de purs gaspillages ou contraires aux objectifs recherchés ? Il faut désormais mettre de l’ordre et faire des choix entre des objectifs souvent contradictoires : lutter contre le réchauffement climatique, faire face à l’épuisement des ressources, contrôler les coûts et leur volatilité, réduire les déficits du commerce extérieur, assurer la sécurité des approvisionnements, etc. 

Toute réflexion doit partir de quelques constats.  

La politique énergétique de l’Europe s’est appuyée sur des considérations plus politiques qu’économiques au nom de la défense de l’environnement et de la diabolisation du nucléaire, passant sous silence la notion de coût.

Deux objectifs étaient recherchés : lutter d’urgence contre le réchauffement climatique et faire face à l’épuisement des ressources. L’Europe les a confondus, pensant que le développement hâtif des énergies renouvelables allait répondre aux deux préoccupations. Ce choix, accompagné d’un niveau de subventions scandaleux, a conduit à négliger toute autre voie, comme la capture du CO2, le nucléaire du futur, l’efficacité énergétique, etc. Il s’est traduit par l’effondrement des prix du marché de gros européen de l’électricité, la hausse de prix pour le particulier et l’absence de signaux sur le long terme ! 

Nous n’avons pas conscience du prix du passage d’une économie fondée sur les combustibles fossiles à une autre économie, celle de l’électricité ou de l’hydrogène : on ne peut changer d’un coup de baguette les contraintes de consommation ; un logement « vit » cent ans, un réseau (électricité, gaz, etc.) cinquante et les moyens de transport vingt ou trente.

Les pays émergents, Chine hier, Inde aujourd’hui, Afrique demain, ont soif d’énergie bon marché et n’ont pas, comme l’Occident, la hantise du réchauffement climatique ; seule la pollution galopante et ses conséquences sur les individus peuvent les conduire à la sagesse.

Les besoins en énergie, en croissance molle depuis le premier choc pétrolier et aujourd’hui grâce au développement des outils numériques (« smart grid») et aux efforts d’économie d’énergie, vont tôt ou tard reprendre leur croissance en raison des pays émergents et de l’économie numérique forte consommatrice d’électricité.

Depuis Fukushima et la décision unilatérale allemande d’arrêt des centrales nucléaires, les énergies solaires et éoliennes, fortement subventionnées, se développent considérablement. Leur coût se rapprochant de celui des énergies plus classiques, d’aucuns les considèrent comme le Saint Graal, solution à toutes nos difficultés. Pourtant des questions se posent en l’absence de données sur le cycle de vie des installations : la population acceptera-t-elle les forêts d’éoliennes et les centaines de milliers d’hectares de panneaux solaires ? Quel serait le coût des investissements à réaliser pour permettre, dans des conditions de fiabilité convenables, l’introduction de dizaines de milliers de « microcentrales »  dans les réseaux, défi gigantesque dont on ne parle pas ? Qu’en sera-t-il des approvisionnements en terres rares indispensables comme le néodyme ?

L’incertitude la plus critique est celle du stockage. Tout se passe comme si on investissait en raison de la gratuité du soleil et du vent, convaincu que, bientôt, la technologie résoudra la question du stockage de l’électricité produite. Or, le stockage de très grandes quantités d’énergie électrique est encore du domaine du rêve, même si des progrès ont été réalisés, portant d’ailleurs plus sur le conditionnement que sur les concepts. Sans rupture technologique, la voiture électrique sera condamnée à transporter des batteries, accessoirement des passagers, et sera tôt ou tard en compétition avec d’autres solutions comme la voiture à hydrogène.

Que peut-on prévoir à l’horizon 2050 ?

Le règne de l’utopie et du désordre que connaît particulièrement l’Europe ne peut plus durer. Tôt ou tard, la logique économique et les considérations de coût l’emporteront entraînant la révision des plans de transition énergétique.

Dans les pays émergents et en Occident, les solutions éprouvées existant aujourd’hui, fondées d’abord sur l’utilisation des combustibles fossiles et, dans une moindre mesure, sur les centrales nucléaires classiques, continueront à jouer le rôle essentiel, d’autant que les réserves de pétrole et de gaz seront loin d’être épuisées. Le « peak oil » imminent, annoncé par les experts depuis des décennies, sera-t-il même alors atteint ? Seuls les moyens trop polluants ou trop émetteurs de gaz à effet de serre seront abandonnés.

Nous avons assisté, avec la prise de conscience du réchauffement climatique, au lancement d’un concours Lépine consacré à la recherche de voies nouvelles de production d’énergie : éolien offshore, hydroélectricité sous-marine, un très large éventail de pistes dans les domaines de la biomasse, des biocarburants, etc. Il n’en restera rien, hormis des investissements justifiés par des conditions particulières (alimentation électrique d’îles, d'une grande partie de l’Afrique, etc.) ou quelques réalisations rejoignant au fil des ans le patrimoine historique, culturel ou touristique, à l’image de l’usine marémotrice de la Rance inaugurée il y a un demi-siècle.

L’énergie nucléaire, rejetée aujourd’hui en Occident mais pas en Asie, retrouvera son aura étant donné son intérêt dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cela passe par une opération vérité sur les aspects émotionnels liés à cette énergie (effets des rayonnements sur l’homme, stockage des déchets, démantèlement) et, surtout, par un effort de recherche et de développement sur les filières de réacteurs intrinsèquement sûrs (réacteurs à sels fondus ?), de taille moyenne, pouvant éventuellement utiliser le thorium comme combustible et d’un coût d’investissement et de production équivalent à celui des réacteurs de la génération 1970.

 La raison veut que les trois prochaines décennies soient consacrées à la recherche et au développement des futurs outils de production d’énergie, tout en gérant au mieux, en fonction des contraintes économiques et environnementales, les filières et moyens actuels. L’an 2050 sera le moment des choix. En l’absence de percée sur le stockage de l’électricité, il faudra alors lancer les futurs moyens de production d’électricité, très probablement des réacteurs nucléaires issus des efforts de recherche, et, pour le transport, choisir les piles à combustible (hydrogène produit dans des réacteurs à haute température). Dans le cas improbable d’une percée sur le stockage, le choix sera à faire entre le nucléaire et les énergies renouvelables, choix fondé sur les critères économiques prévalant alors. 

parue le
09 mars 2017