Sénateur de Meurthe-et-Moselle
Membre de la commission des finances
Chacun le sait, le Parlement vote l’impôt. Il a même été créé pour cela, ainsi que le souligne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 quand elle proclame que : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
Pourtant, il existe une imposition qui frappe chacun d’entre nous et dont le produit a dépassé, en 2014, 6 milliards d’euros (soit davantage que l’impôt de solidarité sur la fortune) sans que le Parlement n’ait eu son mot à dire. Il s’agit de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), que l’ensemble des consommateurs doit régler en payant sa facture d’électricité.
La CSPE est une sorte d’objet fiscal non (ou mal) identifié...
Certes, la CSPE est une sorte d’objet fiscal non (ou mal) identifié, peu connu des citoyens, dont la vocation et l’histoire expliquent le régime très particulier. Pour dire les choses brièvement, elle n’alimente pas le budget de l’État mais son produit doit financer intégralement les charges de service public de l’électricité, décidées par les pouvoirs publics mais qui incombent à certains opérateurs, en tout premier lieu EDF. Cela va des tarifs de première nécessité au soutien aux zones non interconnectées au réseau métropolitain continental (Corse, départements d’outre-mer…) et surtout à des dépenses en augmentation spectaculaire année après année : le subventionnement de la production d’électricité d’origine renouvelable au travers des obligations d’achat à tarif préférentiel – qui deviendront demain des compléments de rémunération.
Dans un tel cadre, il est normal que les opérateurs aient la garantie que le niveau de la ressource permette de leur rembourser des charges qu’ils supportent effectivement. Or par le passé, des ministres n’ont pas ajusté le niveau de la CSPE à celui des charges car il est moins populaire d’augmenter un impôt – et, à travers lui, le prix de l’électricité – que de fixer, par exemple, de généreux tarifs d’achat pour l’électricité « verte ». Il en est résulté le creusement d’un « trou » de plusieurs milliards d’euros au détriment d’EDF, que les consommateurs doivent à présent combler. Pour éviter que de tels désagréments se reproduisent à l’avenir, le pouvoir politique a préféré se dessaisir de la question, en confiant au régulateur du secteur de l’énergie (la CRE) la mission de calculer le niveau des charges et d’en déduire celui de la CSPE – dans la limite d’un plafond d’augmentation annuelle.
La situation actuelle répond donc à une vraie logique : l’objet même de la CSPE, à savoir le remboursement de charges précises, en favorise une gestion « notariale » afin de prévenir toute dérive.
Comment les élus peuvent-ils ne pas se considérer comme responsables du niveau d’une imposition de plus de 6 milliards d’euros ?
Néanmoins, le niveau qu’a atteint cette imposition rend ce fonctionnement intenable, tant du point de vue du contrôle des finances publiques que d’un simple point de vue démocratique. En termes de contrôle, le financement par la CSPE d’un grand nombre de charges de toutes natures a abouti, au fil des ans, à la constitution d’un véritable para-budget public de l’énergie, en-dehors du « radar » du Parlement, ce qui n’est pas sain. En termes démocratiques, comment les élus peuvent-ils ne pas se considérer comme responsables du niveau d’une imposition de plus de 6 milliards d’euros – et qui devrait même atteindre 10 milliards en 2020 ? Le voudraient-ils d’ailleurs qu’ils ne pourraient s’en désintéresser bien longtemps puisque c’est vers eux que se tournent les citoyens, légitimement sensibles à l’évolution du prix de l’électricité.
Il est donc indispensable de réformer en profondeur le fonctionnement de la CSPE. Tel est le sens de l’amendement que j’ai proposé, au nom de la commission des finances du Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Les principes en sont simples.
D’une part, limiter le champ des dépenses financées par la CSPE au seul soutien à l’électricité « verte », tout le reste devant relever du budget de l’Etat. Cela permettra de fortement améliorer le contrôle du Parlement sur l’ensemble de ces dépenses en faisant disparaître l’actuel « fourre-tout » de la contribution. Cela permettra aussi d’affermir la compatibilité de la CSPE avec le droit communautaire.
Cela permettra de sortir de l’actuelle logique de « chèque en blanc » aux opérateurs d’électricité éolienne ou photovoltaïque.
D’autre part, faire adopter, chaque année, par le Parlement, au moment de la loi de finances, le plafond de charges susceptibles d’être compensées par la CSPE et, de là, le niveau de la contribution. Cela permettra de sortir de l’actuelle logique de « chèque en blanc » aux opérateurs d’électricité éolienne ou photovoltaïque qui ont, en pratique, guichet ouvert sur la facture d’électricité de chacun.
La commission des affaires économiques ayant accepté cet amendement, il figure donc dans le texte qui sera discuté au Sénat ces prochains jours. Nous pourrons donc en débattre avec le Gouvernement puis, éventuellement, avec l’Assemblée nationale lors de la navette de ce projet de loi. Ce faisant, le Sénat a joué son rôle, en n’acceptant plus que l’on mette la poussière sous le tapis. Il revient désormais aux autres pouvoirs publics de se prononcer. En tout état de cause, la remise en ordre de la CSPE devra se faire le plus tôt possible, au plus tard lors de la prochaine session budgétaire.