Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
L’Inflation Reduction Act(1) adopté de justesse (sans une seule voie Républicaine) par les deux chambres du Congrès début août va pouvoir entrer en application. Cette loi n’aura qu’un effet marginal sur l’inflation. Elle va conforter le dispositif de protection de santé adopté sous l’administration Obama et amorcer un timide (et complexe) resserrement fiscal sur les revenus du capital. Son impact le plus important va concerner le climat. Sans que ni le mot « climat », ni le mot « énergie » n’apparaisse dans son énoncé, le Président Biden a sans doute fait passer le dispositif législatif fédéral le plus important à ce jour en faveur du climat.
386 milliards de dollars de dépenses en faveur du climat
L’architecture de la loi prévoit des dépenses budgétaires supplémentaires de 485 milliards de $ sur 10 ans, dont 98 milliards sont dirigés sur la santé et 386 milliards sur l’énergie et le climat. Simultanément, l’administration Biden prévoit d’accroître de 468 milliards de $ les recettes fiscales (principalement en taxant les profits des grandes entreprises) et d’économiser 322 milliards de $ sur les dépenses de santé (principalement en régulant mieux les prix des produits pharmaceutiques). Au total, si tout se passe comme prévu, la loi devrait donc contribuer à réduire le déficit du budget fédéral de quelques 300 milliards de $.
Concernant l’énergie et le climat, les crédits d’impôts destinés à accélérer la génération d’électricité décarbonée mobilisent à eux seuls près de la moitié des dépenses fédérales prévues, avec plus de 160 milliards d’autorisations de dépenses. La plus grande partie concerne la génération d’électricité renouvelable, les réseaux et la prolongation de l’exploitation du parc nucléaire installé. C’est un pas important vers l’objectif du programme présidentiel de Joe Biden d’atteindre 100% d’électricité décarbonée en 2035.
Trois volets importants, mobilisant chacun de l’ordre de 37 milliards de $, visent l’aide à l’utilisation de l’énergie décarbonée. Ils concernent les particuliers, l’industrie et l’incitation à l’électrification des véhicules. Dans ce dernier cas, le dispositif prévoit de limiter les aides aux véhicules montés sur le territoire américain avec des batteries fabriquées localement.
Les investissements en faveur de l’efficacité énergétique des bâtiments et de la forêt et de l’agriculture de conservation mobilisent des sommes relativement modestes compte tenu de leur poids dans les émissions, avec de faibles réductions d’émissions à la clef. D’importants crédits d’impôts sont enfin prévus pour accélérer la R&D en matière de captage et de stockage du CO2 atmosphérique et sur l’hydrogène vert.
L’objectif de réduction en 2030 : la moitié de l’effort reste à faire !
Cet effort budgétaire sans précédent mise quasi exclusivement sur l’incitation. En dehors d’une taxation des rejets de méthane par les secteur Oil & Gas qui devrait rapporter 18 milliards de $, l’administration Biden a renoncé à toute forme de tarification du CO2 via la taxe ou les quotas négociables. De même, la loi ne comporte pas de nouvelles obligations réglementaires en matière d’énergie et de climat (alors qu’elle contraint le secteur pharmaceutique en matière de santé).
Du fait de l’insuffisance des instruments de tarification et de réglementation, la loi Biden ne permettra pas, même si elle est totalement appliquée, d’atteindre l’objectif d’une baisse de 50 à 52% des émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2030 qui est la contribution déposé par les États Unis auprès des Nations Unies dans le cadre de l’Accord de Paris.
D’après les dernières estimations du Rhodium Group, la loi promulguée par Joe Biden après de complexes négociations au Congrès permettrait des réductions supplémentaires d’émission de l’ordre de 450 à 650 Mt de CO2eq en 2030. Cela représente les émissions cumulées de la Californie et de la Floride (ou encore 1,5 fois celles de la France).
En valeur absolue, c’est considérable. Mais cela ne représente que 10% de réduction supplémentaire alors qu’il en faudrait plutôt 20% pour atteindre les engagements du pays dans le cadre de l’Accord de Paris. La marche d’escalier la plus difficile reste à franchir.
Cet article est issu du site de Christian Perthuis accessible ici.
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