Jean-Louis Nizet, Secrétaire général de la FPB. En arrière-plan, raffinerie à Anvers. (©Michel Labelle-Total)
Il est beaucoup question de pétrole dans l’actualité française des derniers mois : impacts de la baisse des cours du brut, baisse de la consommation d’énergies fossiles dans le cadre de la transition énergétique, rééquilibrage de la taxation du gazole et de l’essence, etc. Comment sont traitées ces problématiques chez nos voisins de Belgique ? Nous avons interrogé sur ce sujet Jean-Louis Nizet, Secrétaire général de la Fédération pétrolière belge (FPB).
1) Quelle est l’importance du pétrole en Belgique ?
Le pétrole compte pour environ 40% de la consommation d’énergie primaire de la Belgique alors que la moyenne européenne se situe à 34%. Cela est dû à l’importance de la pétrochimie belge. Sur les 23 millions de tonnes de produits pétroliers consommées par la Belgique en 2014, il y a 8,2 millions de tonnes de carburants et 8,1 millions de tonnes de produits qui sont livrées à la pétrochimie.
La pétrochimie constitue une part relativement incompressible de notre consommation : au niveau européen, 68% des matières premières utilisées par l’ensemble de l’industrie chimique sont des produits pétroliers. Le verdissement de la chimie reste assez anecdotique.
Les émissions belges de gaz à effet de serre viennent à 28% de l’industrie.
Cela explique pourquoi l’économie belge est intensive en carbone. Ce n’est pas un problème de voitures de sociétés comme on l’entend parfois ou de bâtiments qui seraient particulièrement mal isolés et que l’on chaufferait fenêtres ouvertes.
Les émissions de gaz à effet de serre viennent à 28% de l’industrie en Belgique (contre 19% au niveau européen), à 21% des transports (20% pour l’UE) et à seulement 20% de l’énergie grâce à un parc nucléaire décarboné relativement important (33% pour l’UE) selon les dernières données portant sur 2012. Durant la première période du protocole de Kyoto, l’industrie belge a néanmoins atteint ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre alors que ces dernières ont dramatiquement augmenté dans les transports et dans les bâtiments comme en France.
2) Le groupe français Total possède l’une de ses principales plateformes de raffinage et de pétrochimie à Anvers. Comment se porte ce secteur en Belgique ?
Malgré les difficultés auxquelles est confrontée le raffinage européen (15 raffineries ont fermé entre 2008 et 2013, soit pratiquement 10% de la capacité), ExxonMobil et Total ont continué à investir dans leurs raffineries anversoises qui sont considérés comme extrêmement performantes et qui bénéficient de leur situation dans la zone portuaire d’Anvers, en lien avec la pétrochimie. Les investissements en cours s’élèvent à un milliard de dollars pour ExxonMobil et à un milliard d’euros pour Total (dont 700 millions pour la raffinerie et 300 millions pour la plateforme pétrochimique). Ils visent essentiellement à augmenter la production de diesel pour répondre à la demande européenne. Les raffineries belges échappent ainsi aux nombreuses restructurations qu’ont connues d’autres pays comme la France.
Au total, la Belgique a une capacité de raffinage de 41 millions de tonnes de produits pétroliers, soit quasiment deux fois la consommation intérieure belge et une production nette de plus de 35 millions de tonnes en 2014. L’activité de raffinage reste donc très tournée vers les exportations, en particulier vers la marine internationale pour qui les livraisons ont atteint 5,6 millions de tonnes en 2014.
Préfère-t-on du diesel russe ou du diesel raffiné selon les spécifications environnementales européennes ?
Au niveau européen, il est évident que la marge nette des raffineurs s’est beaucoup améliorée au cours des derniers mois avec la baisse des cours du brut mais ça n’enlève rien au problème structurel du raffinage européen qui reste excédentaire et des unités devront encore fermer. Le JRC (centre de recherche de la Commission européenne) a effectué un « fitness check » évaluant les conséquences sur ce secteur d’un certain nombre de directives européennes, par exemple sur les émissions industrielles ou sur la qualité des carburants. Ces directives ont entraîné une perte de compétitivité qui se chiffre à 0,47 euro par baril pour les raffineurs.
Il n’y a pas eu de mesures correctives. Dans une certaine mesure, l’Europe a volontairement oublié le monde du pétrole… Dans les communications relatives à l’Union de l’énergie, on a l’impression que les marchés de l’énergie se résument à l’intégration des marchés de l’électricité et à la sécurité d’approvisionnement en gaz.
La Commission européenne prendra-t-elle le risque de ne pas inclure le rôle des produits pétroliers dans l’Union de l’énergie alors que ces produits resteront nécessaires pour plusieurs décennies dans le domaine du transport, de la pétrochimie et de l’industrie ? Fermera-t-on les raffineries avec toute l’industrie qu’il y a derrière ? Préfère-t-on enfin du diesel russe ou du diesel raffiné selon les spécifications environnementales européennes ?
Raffinerie à Anvers du groupe Total (©Michel Labelle-Total)
3) Comment sont fixés les prix des carburants en Belgique ?
La Belgique est, avec le Luxembourg, le seul pays en Europe à avoir un système de prix maximum : les prix pétroliers sont contrôlés et on ne peut pas dépasser les prix maximum fixés par le service public fédéral belge en charge de l’économie(1) (ces prix peuvent changer deux fois durant la même semaine ou rester inchangés pendant plusieurs semaines(2)).
Il y a 4 composantes dans le prix à la pompe : le prix du produit raffiné qui est basé sur les cotations quotidiennes de Rotterdam, la marge brute et les coûts de distribution, c’est-à-dire l’ensemble des coûts depuis la sortie de raffinerie jusqu’à la station-service ou jusqu’à la cuve gasoil du consommateur, la TVA (de 21%) et les autres taxes.
Pour les taxes, la Belgique se trouve dans une situation comparable à celle de la France : elles comptent pour 62% du prix de l’essence à la pompe, 54% pour le diesel. La Belgique envisage d’égaliser les accises (taxes intérieures) sur les essences et le diesel d’ici à 2018, avec des augmentations sur le diesel et des diminutions progressives sur les essences s’étalant du 1er janvier 2016 à courant 2018. Les nouvelles accises devraient atteindre 0,55 €/litre en 2018 (contre 0,429 €/litre pour le diesel et 0,615 €/litre pour les essences aujourd’hui).
4) Où en est la Belgique en matière de développement des carburants alternatifs ?
Dans les années récentes, on a vu une augmentation du nombre d’immatriculations de véhicules neufs hybrides. Pour les véhicules électriques, cela reste relativement anecdotique. La Belgique doit remettre à la Commission européenne son plan de déploiement d’infrastructures et de carburants alternatifs avant novembre 2016(3). Il existe des spécificités régionales, la Flandre poussant plus l’électrique, la Wallonie la motorisation gaz.
Les véhicules électriques peuvent être un complément indispensable en régime urbain, par exemple pour une flotte captive. Mais pour des véhicules individuels, pourquoi favoriser un véhicule électrique plutôt qu’un véhicule hybride qui consommerait 3 litres de carburant aux 100 km, qui répondrait mieux à l’ensemble des besoins de déplacement et qui émettrait globalement peu de CO2 en plus ?
Je crains que la politique sur les véhicules électriques soit impayable.
Selon moi, le problème qui se pose n’est pas celui de l’œuf et de la poule: on dit souvent qu’on a le véhicule mais pas l’infrastructure mais la première barrière reste le coût d’acquisition du véhicule : sans une incitation financière importante, on ne franchit pas le pas. Plus fondamentalement, quel est le coût de ces politiques publiques par tonne de carbone évitée et par rapport à d’autres technologies ? Je crains que la politique sur les véhicules électriques, telle que développée aujourd’hui, soit impayable.
Les différentes taxes pesant sur les produits pétroliers, hors TVA, apportent 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales à la Belgique, soit 10% des recettes d’impôts indirects de l’État fédéral. Si on remplace une partie de ces carburants par des véhicules électriques, il faudra bien que quelqu’un d’autre paie.
Néanmoins, je comprends parfaitement que ce soit un moyen de redéployer l’industrie automobile française alors que les constructeurs européens semble avoir raté le virage à l’hybride contrairement aux Japonais.
5) Qu’en est-il des biocarburants ?
Le taux d’incorporation est aujourd’hui de 4% pour les essences et de 6% dans le diesel. La Belgique connaît actuellement une situation un peu particulière car la Cour constitutionnelle a partiellement annulé la loi d’obligation d’incorporation des biocarburants. La société finlandaise Neste Oil Oyj avait introduit un recours car elle estimait qu’un de ses produits était discriminé par l’article de la loi portant sur le diesel. Les autorités travaillent actuellement à sa correction.
Les biocarburants ont été présentés comme une solution miracle au milieu des années 2000 et sont aujourd’hui remis en cause, d’autant plus quand on fait le bilan carbone de certaines filières de production. Il y a eu des expériences malheureuses que l’on oublie, qui ont coûté très cher comme l’E85 en France : Peugeot, Renault ont développé des véhicules « flex fuel » dont on n’en entend plus parler aujourd’hui. Dans un pays comme la Finlande qui a imposé l’E85, les investissements se sont élevés à plus d’un milliard d’euros quasiment en pure pertes. On consomme 30% en plus avec l’E85, c’est un exemple de faux remède miracle et un désastre économique avec les prix actuels de l’essence.
La politique en faveur des biocarburants en Belgique a coûté, en 5 ans, un milliard d’euros et la facture a été payée par les consommateurs.
Même en dehors des cours actuels du pétrole, lorsqu’on regarde le biodiesel, il a toujours été beaucoup plus cher que le diesel, de l’ordre de 200 €/1000 litres en 2013 lorsque le baril était à 110 dollars, de l’ordre de 290 à 370 €/1000 litre sur ce mois d’octobre selon la qualité du biodiésel (prix FOB marché Rotterdam). C’est moins vrai pour l’éthanol qui est davantage lié aux prix des matières premières agricoles. J’ai fait le calcul de ce qu’avait coûté la politique en faveur des biocarburants en Belgique où les autorités ont octroyé une aide fiscale pour surcompenser le cours des biocarburants : plus de 200 millions d’euros par an sur 5 ans, soit une facture d’un milliard d’euros payée par les consommateurs pour avoir quelques pourcents de biocarburants dans leur réservoir.
6) Quel a été l’impact de la baisse des cours du brut en Belgique et cette dernière est-elle durable selon vous ?
Si vous prenez en compte l’inflation, il faut remonter au milieu des années 1990 pour retrouver des niveaux de prix des carburants aussi bas qu’aujourd’hui en Belgique. La baisse des cours actuelle représente 6 milliards d’euros d’allègement de la facture pétrolière belge par an, soit 1,5% du PIB belge. C’est colossal. La baisse des cours a toutefois été moins profitable à l’industrie européenne qu’elle ne l’a été à l’industrie américaine en raison du taux de change entre l’euro et le dollar.
Dans le passé, toute projection sur les futurs prix du pétrole s’est avéré fausse, à l’image de Goldman Sachs qui avait annoncé un pétrole à 200 $. Même en juin 2014 quand les prix ont baissé, personne n’a prévu que les prix allaient continuer à baisser dans la dizaine de mois qui a suivi.
Je crois toutefois que les prix actuels ne sont pas durablement tenables car ils ne permettront pas de financer des projets d’exploration et de production qui restent nécessaires. Qu’on le veuille ou non, et quel que soit ce que la COP21 pourra nous recommander, l’AIE estime qu’il faudra, en 2040, 14 millions de barils supplémentaires par jour dans le monde (la demande mondiale actuelle avoisine 92 mb/j). Les majors et les pays de l’OPEP dans le passé ont souvent dit qu’un prix « raisonnable » se situait autour de 80 $.