Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Chaque année, le Citepa (centre technique de référence en matière de pollution atmosphérique et de changement climatique) réalise pour le compte du Gouvernement l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre qui permet de mesurer où en est le pays dans ses engagements d’atténuation du réchauffement climatique. Le Citepa vient de mettre en ligne les données pour l’année 2021. Une sérieuse alerte pour la marche vers la neutralité climat.
Un résultat en phase avec le suivi mensuel des émissions brutes
D’après les chiffres de l’inventaire national, les émissions brutes de gaz à effet de serre sur le territoire ont atteint 418 Mt de CO2éq, soit une hausse de 6,4% relativement à 2020. Cette hausse fait suite à la chute de 9,6 % des émissions en 2020, provoquée par les mesures de confinement. Par rapport à 1990, nos émissions brutes sont en recul de 23%.
Ce mouvement de yo-yo est particulièrement marqué pour les émissions liées au transport. Il remet les émissions nationales sur la tendance de moyen terme de baisse des émissions de gaz à effet de serre observée depuis 2005.
Le Citepa publie depuis deux ans un baromètre mensuel des émissions de gaz à effet de serre. L’année 2021 est la première pour laquelle on peut confronter l’évolution annuelle des émissions donnée par ce baromètre avec les calculs de l’inventaire. La hausse de 6,4 % est très proche de l’indicateur avancé du baromètre qui l’estimait à 6,3%. Ce baromètre pourra donc constituer pour les pouvoirs publics un outil précieux de suivi des émissions en cours d’année.
Les émissions du transport domestique proches de celles de 1990
En 2021, les émissions résultant du transport domestique rebondissent de 10,5% après la chute de 16,5 % provoquée en 2020 par le confinement. Le rattrapage n’est donc que partiel. Seuls les chiffres de 2022 permettront de juger si les émissions de ce secteur repartent à la baisse après le plateau sur lequel elles semblent bloquées depuis 2008.
Les données historiques montrent combien le transport domestique est en décalage par rapport aux autres émissions (graphique). A l’origine de 23 % des émissions en 1990, le transport domestique représente 30 % des émissions en 2021. 95 % de ces émissions proviennent du transport routier : 53% des véhicules particuliers, 26% des poids lourds et 13% des véhicules utilitaires légers. On ne décarbonera pas l’économie sans une action vigoureuse dans ce secteur.
Rappelons enfin que les émissions résultant du transport international ne figurent pas dans les donnée d’inventaire rapportées auprès des Nations Unies. Ces émissions avaient chuté en 2020, passant de 24,8 Mt à 11,2 Mt (respectivement 18 et 10% des émissions du transport domestique). Leur reprise est modeste en 2021 (11,6 Mt soit +5%), le trafic maritime et aérien n’ayant véritablement redémarré qu’en 2022. Il faudra donc particulièrement surveiller ce poste lors de la publication de l’inventaire 2022.
L’affaiblissement du puits de carbone national
L’inventaire national ne calcule pas seulement les émissions brutes sur le territoire national. Il fournit également une évaluation de la quantité nette de CO2 qui est absorbée ou rejetée par les puits de carbone (catégorie dite UTCATF : « Usage des terres, changement d’affectation des terres, forêts »). Le terme barbare d’UTCATF est expliqué plus en détail dans l’ouvrage : Climat, 30 mots pour comprendre et agir.
L’une des grandes surprises de l’inventaire 2022 est la correction à la baisse de l’estimation du puits de carbone forestier. Jusqu’en 2015, la correction réévalue le montant annuel de la quantité de CO2 absorbée par le puits de carbone forestier qui s’effondre en 2000 en raison des tempêtes Lothar et Martin, puis passe par un maximum en 2006 . Sur la période récente, le chiffre est dramatiquement revu en baisse, si bien que la quantité nette de CO2 absorbée par le puits de carbone national retombe en 2021 à pratiquement la moitié de celle de 1990.
C’est une très mauvaise nouvelle pour la cible de neutralité climat en 2050. Il faudra attendre la publication du rapport complet de l’inventaire du CITEPA pour comprendre les raisons de cette révision statistique.
Où en est-on relativement aux objectifs nationaux ?
Les objectifs nationaux d’atténuation figurent dans le document Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) qui fixe des plafonds annuels à ne pas dépasser sur des périodes de cinq ans, ensuite ventilés par grands secteurs d’activité.
Pour la période 2019-2023, le plafond pour les émissions brutes est de 422 Mt de CO2eq. Malgré la remontée de 2021, on reste, avec 418 Mt de CO2 légèrement en dessous du plafond, comme sur les trois premières années (moyenne 2019-2021 = 415 Mt).
En revanche, à la suite de la forte baisse de la quantité de CO2 absorbée par les forêts, les émissions nettes, l’indicateur pertinent pour la cible de neutralité climat, dépassent de 21 Mt (5,5%) le plafond de 383 Mt fixé par la SNBC. Sur les trois premières année, le retard cumulé est de 57 Mt. Difficile à rattraper en deux ans !
Dans les deux cas, le point essentiel à rappeler est que l’objectif actuel de la SNBC reste calé sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030, objectif qui a été réévalué à 55% en décembre 2020. Les données de l’inventaire confirment ainsi le diagnostic d’une aggravation du décalage entre l’évolution de nos émissions et l’objectif de réduction de 55% des rejets de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. Seul, cet objectif de 55% est susceptible de nous conduire vers la neutralité climat en 2050.