Jean-Marie Chevalier

La vision de…
Jean-Marie Chevalier

Professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine

Senior associé au Cambridge Energy Research Associates (IHS-CERA)

La première caractéristique du système énergétique mondial, c’est sa rigidité. Il est organisé autour de lourdes infrastructures qui acheminent l’énergie depuis le gisement jusqu’au consommateur final. Il est à plus de 80% alimenté par les trois grandes énergies polluantes et non renouvelables : le pétrole (31%), le charbon (29%) et le gaz naturel (22%). Tout ceci ne se change pas rapidement.

Et pourtant, nos systèmes énergétiques se heurtent violemment au réchauffement climatique puisque leur fonctionnement est responsable de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre. La gravité du réchauffement climatique et la prise de conscience qui l’accompagne poussent et pousseront les systèmes énergétiques à se transformer pour être moins intenses en carbone et davantage fondés sur les énergies renouvelables.

Une interrogation majeure concerne la vitesse de ce changement. Cette vitesse dépend d’un rapport de forces complexe et mouvant entre de multiples facteurs qui relèvent de la géopolitique, de l’économie, de la technologie. Ce que nous pouvons dire, c’est que le système énergétique mondial en 2050 sera plus décentralisé, plus intelligent, plus diversifié mais probablement encore trop intense en carbone.

Plus décentralisé. Un peu partout dans le monde, on assiste à une certaine décentralisation des problématiques énergétiques. Les collectivités locales, les villes accordent une priorité nouvelle au couple énergie-climat. Cette préoccupation est large car elle englobe la production et l’utilisation de l’énergie, mais aussi la qualité de l’air et de l’eau, les transports, le recyclage des déchets, l’aménagement du territoire, l’urbanisme et aussi les modes d’organisation économique où une priorité est donnée aux productions locales et à l’économie circulaire. En filigrane se trouvent des systèmes énergétiques plus décentralisés. C’est une démarche assez nouvelle. Elle s’est clairement exprimée au moment des dernières COP où les organisations non-gouvernementales ont affirmé leur volonté d’agir pour limiter le réchauffement climatique.

Plus intelligent. Lorsque l’ex-Président américain Barack Obama a parlé de « smart grids » (les réseaux intelligents), une réaction assez générale de la part des opérateurs a été de dire « mais on est déjà intelligents ». La formule a toutefois entraîné une formidable intensification de la liaison entre l’énergie et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette intégration est en mesure d’accroître considérablement l’intelligence des systèmes en place. Le mot « smart » a ainsi été decliné : smart home, smart building, smart community, smart city, smart regulation. Tout au long des filières énergétiques, une efficacité plus grande peut être atteinte par la surveillance, la mesure, l’optimisation des flux d’informations, de chaleur, d’électricité. Par ailleurs, la libéralisation des marchés, la déconstruction des chaînes de valeur traditionnelles multiplient les opportunités d’innovation et de transformation pour une énergie de plus en plus digitalisée.

Plus diversifié. Les systèmes énergétiques se construisent et se modifient en fonction de la dynamique des coûts qui leur est sous-jacente. Or, il est admis de façon plus ou moins implicite que les coûts des énergies renouvelables vont diminuer de façon inéluctable et irréversible. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le prix des panneaux solaires a baissé de 70% entre 2010 et 2015 et encore de 15% en 2016. Les plus récents contrats font état d’un prix de moins de 30 centimes d’euro par kWh. Nous savons toutefois que le défaut majeur de l’éolien et du solaire, c’est leur intermittence. On peut pallier cette lacune par le stockage. Il paraît très probable que le coût des différentes technologies de stockage soit lui aussi soumis à une réduction continue et irréversible. Le système actuel devrait donc se diversifier progressivement : moins de charbon et de pétrole, plus de renouvelables, y compris de biomasse (notamment le biogaz), de géothermie et de petite hydraulique. Il devrait se diversifier également par les technologies et les modes d’organisation mis en place. 

Peut-être moins intense en carbone. Les engagements pris par plus de 150 pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’accord de Paris apparaissent comme une bonne nouvelle pour la santé de la planète mais il convient de relativiser cet événement. La somme des engagements, à supposer qu’ils soient tenus, ne brise pas la tendance actuelle à l’augmentation des émissions et au réchauffement climatique. Ceci est d’autant plus vrai que les ressources fossiles restent très abondantes. On peut donc penser que, malgré les transformations évoquées plus haut, le système énergétique de 2050 sera encore très dévastateur et les hausses de températures très inquiétantes. Ceci aurait sans doute pour effet d’accélérer la prise de conscience de la gravité du réchauffement climatique mais il faudrait que cette prise de conscience soit relayée par l’action très volontariste des organisations non gouvernementales, des entreprises et des citoyens du monde entier.

Les transformations du système énergétique selon les tendances que nous venons de décrire sont en cours ; elles sont par ailleurs inscrites dans l’Histoire. Elles s’opèrent toutefois d’une façon très différenciée : plus rapides en Europe, plus lentes dans les autres territoires, y compris aux États-Unis. Les forces de résistance sont fortes, les forces de changement insuffisantes. On peut penser que le bilan énergétique mondial de 2050 sera encore très intense en carbone avec une part des énergies fossiles supérieure à 50%.      

parue le
06 février 2017

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