Aymeric de Villaret a suivi les valeurs pétrolières pendant plus de 25 ans en tant qu’analyste financier Sell Side. (©photo)
Jeudi 27 novembre, les pays membres de l’OPEP se sont entendus pour maintenir leur niveau de production (autour de 30,6 millions de barils par jour en octobre). Le cours du baril de Brent a chuté à 71,25 dollars à Londres, son plus bas niveau depuis juillet 2010. Nous avons interrogé sur ce sujet Aymeric de Villaret, consultant et auteur d’études économiques et boursières dans le domaine de l’énergie.
1) Le prix du baril de Brent a chuté de plus de 30% depuis cet été. Pouvez-vous en rappeler les raisons ?
Tout d’abord, il est utile de rappeler que cette chute de 30% est calculée par rapport au prix le plus haut atteint en juin dernier. Les troupes de Daech étaient alors aux portes de Bagdad et de nombreux observateurs s’interrogeaient sur des risques concernant la production de brut irakien. L’intervention des occidentaux a enlevé cette crainte et contribué à faire baisser le prix du baril.
Ensuite se sont conjugués deux facteurs :
- un ralentissement de la demande de pétrole par rapport à 2008/2009 avec une économie européenne stagnante et des craintes quant à la croissance chinoise, qui est l’élément moteur de la demande mondiale depuis 2004 ;
- une confirmation de la hausse de la production d’huile de schiste américaine. Celle-ci devrait encore progresser d’un million de barils par jour alors que la Libye voit sa production redémarrer.
Face à ce surplus d’offre, l’Arabie saoudite a envoyé des signes aux marchés portant à croire qu’elle ne jouerait sans doute plus à l’avenir son rôle de régulateur des prix. Elle a d’abord annoncé une baisse des prix auprès de ses clients asiatiques fin septembre 2014, puis en Europe et aux États-Unis.
2) Comment interpréter la décision de l’OPEP de maintenir son niveau de production malgré la chute des cours ?
La décision de l’OPEP de maintenir son niveau de production inchangé confirme que l’Arabie saoudite ne veut « plus » jouer ce rôle de régulateur des marchés. Comme le disait son ministre du pétrole Ali al-Naimi le 12 novembre à Acapulco, « c’est juste le marché ».
Avant la réunion de l’OPEP, l’Arabie saoudite a discuté avec deux producteurs n’appartenant pas à cette organisation, le Mexique et la Russie, mais n’a pas envie de réduire sa production de pétrole dans leur intérêt… Ni dans celui de l’huile de schiste américaine.
Deux hypothèses existent quant aux raisons de l’Arabie saoudite de laisser le prix du baril chuter :
- limiter la croissance de la production d’huile de schiste américaine dont les points morts se situeraient pour une grande partie entre 60$ et 80$ ;
- pénaliser les économies russe (avec un prix du baril de 80 dollars, la Russie perdrait annuellement 100 milliards de dollars) et/ou iranienne (au moment des discussions sur le nucléaire et de la lutte d’influence en Irak).
3) La chute des cours du pétrole est-elle favorable aux États-Unis ? Et à l’Union européenne ?
En ce qui concerne les États-Unis, il faut rappeler que le pays produit aujourd’hui plus de pétrole qu’il n’en importe(1). Ce point est important car une baisse lui est économiquement favorable même si cela l’est moins qu’avant l’essor de l’huile de schiste.
Toute l’industrie pétrolière est certes touchée par une baisse des prix et surtout celle florissante de l’huile de schiste. C’est d’ailleurs sans doute l’une des raisons de la volonté de l’Arabie Saoudite de laisser les cours du pétrole baisser, casser cette huile de schiste américaine…
Au niveau du consommateur final, l’automobiliste américain, qui paie nettement moins de taxes que l’européen, voit le prix à la pompe chuter : le prix du gallon (Regular gas) qui était de 3,69$ en juin est tombé à 2,79$ au 28 novembre, soit une baisse de 24% !
Au sein de l’Union européenne, la chimie (à base de naphta, dérivé du pétrole) fortement concurrencée par la chimie américaine (à base de gaz de schiste) va être particulièrement aidée.
En revanche, l’automobiliste européen ne bénéficiera pas autant que l’américain de la baisse du brut en raison des plus fortes taxes. En France, le litre de super 95 est par exemple passé en moyenne de 1,5397€/l au 20 juin à 1,4142€/l au 21 novembre, soit une baisse de moins 8 %...
4) Selon vous, comment devrait évoluer le cours du pétrole à moyen terme ?
Prédire l’évolution des cours du baril à court terme relève en l’état actuel des choses de la boule de cristal. Qui en juin, pouvait prédire qu’en 5 mois, le baril de Brent passerait de 115$ à 72$ ? Qui en juillet 2008, pouvait prétendre qu’il passerait de 134$ à 34$ fin décembre de la même année ?
A plus long terme, il semble, comme l’ont dit l’Arabie saoudite et l’OPEP, qu’il faille trouver un prix d’équilibre qui permette à la fois de satisfaire le consommateur (pas trop élevé, pour ne pas gêner la croissance) et le producteur (pas trop bas et stable afin de l’inciter à investir).
L’expérience de 2008-2009 puis de 2010, avec la chute du baril entraînant celle des investissements puis le rebond des cours du pétrole, nous laisse anticiper à moyen terme le retour à un baril entre 85$ et 115$.