- Source : Ifri
En pleine Première Guerre mondiale, George Clémenceau jugeait déjà en 1917 « l’essence aussi nécessaire que le sang des batailles de demain ». La sécurité de l’approvisionnement énergétique des forces armées, en particulier en carburants, est en effet une condition centrale du bon déroulement des opérations militaires. Elle conditionne la liberté d’action des forces engagées qui doivent à ce titre éviter toute rupture des flux tout en bénéficiant de produits pétroliers dont la qualité est avérée.
Un organisme central créé en 1945, le Service des Essences des Armées (SEA), est en charge de garantir cette sécurité énergétique des armées françaises(1): il gère toute la chaîne de l’approvisionnement pétrolier du ministère de la Défense, depuis l’acquisition de produits pétroliers et leur homologation à leur distribution(2) en passant par la construction des infrastructures pétrolières.
Dans cette étude publiée par le Laboratoire de recherche sur la défense de l’Ifri, Paul Kaeser, ingénieur militaire au sein du SEA, rappelle les missions dont est investi cet organisme en pointant ses forces et ses vulnérabilités ainsi que les nouveaux défis auxquels il est aujourd’hui confronté, dans un contexte de « transition énergétique ». Il étudie les pistes pour « renouveler » la sécurité énergétique des armées françaises qu’il définit comme la « capacité à assurer en tout temps et en tous lieux l’alimentation en énergie des installations militaires et des systèmes d’armes déployés, même en cas de rupture des flux externalisés ».
Fort d’un effectif d’environ 2 100 personnes, le SEA dispose entre autres d’une quarantaine de dépôts pétroliers en France, d’environ 400 camions de transport et de 140 wagons-réservoirs. En 2014, environ un quart des carburants qu’il a distribués l’ont été sur le terrain d’opérations extérieures (OPEX). Les ruptures de flux pétroliers y constituent une difficulté récurrente. Le SEA recherche une redondance de ces flux d’approvisionnement afin de garantir la sécurité énergétique des forces engagées (nécessité opérationnelle en contradiction avec l’optimisation financière) et s’appuie sur les fournisseurs pétroliers locaux lorsque cela est possible(3).
Ce Service peut soutenir des forces dès leur entrée sur une zone d’intervention en déployant immédiatement une chaîne d’approvisionnement pétrolier. Les détachements de soutien pétrolier varient fortement, d’un seul militaire jusqu’à plus de 100 personnes comme lors du début de l’opération « Serval » au Mali en 2013.
Le SEA bénéficie d’une expertise technique reconnue(4) mais son autonomie a eu pour effet de partiellement « décharger » le commandement des armées de la préoccupation de la sécurité énergétique. Paul Kaeser s’interroge ainsi sur les moyens d’une meilleure prise en compte de cette problématique au niveau stratégique. Il analyse enfin les conditions pour faire émerger des forces moins énergivores (malgré les spécificités militaires limitant parfois les économies d’énergie)(5) et plus généralement une nouvelle gouvernance de « l’énergie de Défense ».
- A l'origine, le SEA était en charge de ravitailler toutes les forces militaires terrestres de la France. Il a par la suite également été chargé du soutien pétrolier des bases aériennes (en 1960) et de la flotte de la Marine (en 2010).
- Sauf certaines exceptions : stations-services militaires des bases de Défense (gérées par le service du commissariat des armées), ravitaillements en vol ou sur porte-aéronefs, etc.
- L’essence F-18 nécessaire aux drones Harfang doit par exemple souvent être acheminée directement depuis la raffinerie de la Mède en Provence.
- L’ensemble des ingénieurs militaires du SEA ont suivi un an de formation au sein de l’IFP School.
- La notion de sobriété énergétique est plus ou moins bien intégrée au sein des différentes armées : elle est essentielle dans la Marine ou pour les pilotes d’astronefs disposant de ressources limitées mais l’armée de Terre est encore fortement imprégnée « d’un vieux principe selon lequel l’intendance suivra », indique Paul Kaeser.