Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Le SDES (service des données et études statistiques) du Ministère de la Transition écologique(1) a révisé en octobre 2021 le calcul de l’ensemble de la série historique de l’empreinte climat des Français. Ce correctif statistique rapproche les estimations nationales de celles fournies par l’OCDE et le Global Carbon Project pour le seul CO2.
L’empreinte climat des Français recule au rythme des émissions territoriales depuis 2005
L’empreinte climat d’un pays mesure les émissions de gaz à effet de serre résultant de la demande de biens et services par ses résidents. Elle est obtenue en ajoutant aux émissions territoriales calculées dans l’inventaire national les émissions indirectes incorporées dans les importations et en retranchant les émissions du territoire national résultant des productions exportées.
Le calcul de l’empreinte climat est complexe(2) car il utilise des matrices entrées-sorties et des coefficients moyens de branches qui n’ont pas été conçus par les comptables nationaux pour compter les tonnes de CO2. Il en résulte de fortes corrections des évaluations provisoires.
Les premières estimations officielles donnaient pour 2018 une empreinte climat, calculée sur les trois principaux gaz à effet de serre, de 11,5 tonnes d’équivalent CO2 par habitant. Ce chiffre a fait l’objet d’une forte médiatisation, notamment via un rapport du Haut Conseil pour le Climat qui s’est appuyé sur ces évaluations. Les derniers chiffres du SDES, encore susceptibles d’être corrigés, ont ramené ce chiffre à 9,2 tonnes. Il serait judicieux de réexaminer les conclusions de ce rapport à l’aulne de ces nouveaux chiffres.
Les correctifs sur la série historique ont été également significatifs. La nouvelle série ne raconte pas la même histoire que la série précédente. L’empreinte climat par habitant est à peu près stable entre 1995 et 2005. Depuis, elle recule à un rythme comparable à celui des émissions du territoire.
Les nouvelles estimations de l’empreinte carbone (CO2) : un comparaison entre les sources disponibles
Pour le CO2 (environ les 3/4 de l’empreinte climat), on dispose de trois bases de données sur l’empreinte : la base de données du Ministère couvre la période 2010 à 2020 et donne une estimation pour les années 1995, 2000 et 2005(3) ; la base de données du Global Carbon Budget couvre la période 1990 à 2019 ; celle de l’OCDE couvre la période 2005 à 2015(4). Le graphique ci-dessous a reproduit l’intégralité de ces informations.
Ce graphique appelle deux commentaires :
depuis 2005, il y a convergence des estimations sur le sens des évolutions, et pratiquement sur leur rythme. En revanche, l’estimation officielle du Ministère donne un niveau supérieur par rapport à celles du Global Carbon Budget et de l’OCDE (de 0,5 à 1 tonne par habitant suivant les années) ;
avant 2005, les estimations du Ministère et du Global Carbon Budget ne racontent pas la même histoire : le premier suggère un accroissement de l’empreinte carbone par habitant entre 1995 et 2005 ; le second décrit une stabilité de cette empreinte par habitant. On doit cependant noter que la nouvelle série historique du SDES réduit les écarts antérieurs.
Beaucoup d’observateurs sont convaincus, en tout bonne foi, que l’empreinte carbone par habitant continue d’augmenter alors que les émissions sur le territoire baissent. Cette conviction repose sur des séries historiques qui ont été corrigées depuis leurs premières publications.
Fort heureusement, un groupe de travail multi-acteurs a été constitué pour fournir une information de meilleure qualité sur le niveau et l’évolution de l’empreinte climatique. La publication très complète du SDES dans sa dernière version va dans le même sens. C’est important, car le biais de perception sur l’empreinte carbone ne facilite pas l’action climatique.
Un biais qui ne facilite pas l’accélération de l’action climatique
Je vois trois types de réactions générées par le biais de perception sur l’empreinte climat des Français :
pour les uns, cela doit conduire à amplifier l’action, en particulier en freinant d’urgence la consommation, la décroissance étant la meilleure façon d’agir vite sur le climat ;
à l’opposé, le même biais justifie qu’on arrête de fournir des efforts, ce qui est gagné ici étant perdu là-bas via le vase communicant des émissions indirectes dans les importations ;
dans la même veine, certains milieux industriels font de la hausse supposée de l’empreinte carbone un argument pour continuer à produire et émettre du CO2 sur notre territoire.
Ces trois types d’attitude, en apparence opposés, reposent sur un même biais de perception. Dans le débat public pour accélérer l’action climatique, il convient de se baser sur les bonnes informations en matière d’empreinte climatique des Français.