Mathieu Morcrette est ingénieur de recherche au CNRS et directeur du Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides. (©photo)
Les batteries lithium-ion sont omniprésentes dans notre quotidien, qu’elles soient implantées dans les différents appareils électroniques portables ou dans les véhicules électriques. Elles présentent de nombreux avantages (densité énergétique, légèreté, etc.) mais leur réputation a souffert des cas d’échauffement de certaines d’entre elles, ayant notamment causé l’arrêt de la production du smartphone Samsung Note 7 en 2016. Nous avons interrogé sur ces batteries Mathieu Morcrette, ingénieur de recherche au CNRS et directeur du Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides (CNRS/Université de Picardie Jules Verne).
1) Quelles sont les principales caractéristiques des batteries lithium-ion ?
Le principe des batteries lithium-ion est de provoquer des réactions chimiques contrôlées au niveau de leurs électrodes qui vont spontanément inverser leurs charges : un échange d’ions lithium Li+ s’effectue entre une électrode positive (cathode) et une électrode négative (anode), ce déplacement de charges s’accompagnant dans le circuit extérieur d’une consommation ou d’une libération d’énergie électrique. Lors de la charge, chaque fois qu’un ion Li+ s’échappe de l’électrode positive, un électron (de charge négative) s’en échappe également pour s’intercaler dans l’électrode négative. On assiste au mécanisme inverse lors de la phase de décharge de la batterie.
Les batteries lithium-ion les plus courantes sont composées d’une électrode positive composée de lithium et d’oxydes de cobalt (LCO) et d’une électrode négative constituée de graphite. Les chercheurs utilisent différents « métaux de transition » ayant la faculté de s’oxyder à la charge et de se réduire à la décharge pour constituer de nouvelles électrodes positives. Outre les « LCO », il en existe actuellement 4 autres grandes familles : les « NMC » (nickel-manganèse-cobalt), les « LFP » (phosphates de fer lithié), les « LMO » (oxydes de manganèse) et les « NCA » (nickel-cobalt-aluminium), de multiples nuances existant entre ces différents matériaux.
Le rendement énergétique des batteries lithium-ion est légèrement inférieur à 100% en raison des pertes d’énergie par effet Joule (échauffement de la batterie lors de la charge). En matière de performances, les batteries lithium-ion sont celles qui peuvent à l’heure actuelle stocker le plus d’énergie par unité de masse (Wh/kg) ou par unité de volume (Wh/l).
La durée de vie des batteries lithium-ion peut fortement varier en fonction de leur qualité de fabrication : elle peut atteindre 20 ans dans le cas de batteries envoyées dans l’espace tandis que celles des smartphones commencent à montrer des faiblesses au bout de 2 ans. Mais une batterie lithium-ion peut typiquement avoir une durée de vie allant jusqu’à 3 000 à 4 000 cycles.
2) Quelle est la place de la technologie lithium-ion sur le marché des batteries ?
En nombre, les batteries au plomb constituent encore 90% des batteries vendues dans le monde à l’heure actuelle en raison de leur prix réduit par rapport aux batteries lithium-ion. En valeur, le marché mondial des batteries au plomb s’élève à 40 milliards de dollars en 2015 (pour 350 000 MWh de batteries vendues annuellement), contre 25 milliards de dollars pour celui des batteries au lithium-ion (65 000 MWh de batteries vendues).
Les batteries lithium-ion sont sans cesse améliorées depuis le début de leur commercialisation en 1991, grâce à des progrès sur les matériaux mais aussi sur la façon de compacter les poudres constituant les électrodes afin de limiter le volume des batteries. La densité énergétique des batteries lithium-ion a ainsi doublé entre 1991 (120 Wh/kg) et 2017 (240 Wh/kg).
Le besoin du marché porte encore majoritairement sur les batteries au plomb peu coûteuses mais le coût des batteries lithium-ion baisse sensiblement. Dans le cas d’un véhicule électrique, le coût moyen des cellules lithium-ion était de 300 $/kWh en 2014 (pour un coût total de 500$/kWh en intégrant le coût du pack). Selon Avicenne, ce coût pourrait être réduit de moitié d’ici à 2020.
3) A quoi étaient dus les différents cas de surchauffe de batteries lithium-ion, ayant notamment affecté des Boeing 787 et des smartphones?
Les batteries au lithium-ion concentrent davantage d’énergie que les autres types de batteries et nécessitent à ce titre une surveillance particulière. Elles ne doivent pas être trop « surchargées » et trop monter en température. Des outils « BMS » (Battery Management System) permettent ainsi de surveiller les batteries et faire en sorte qu’elles fonctionnement dans la gamme souhaitée de température, de puissance et de tension.
Les problèmes de batteries des smartphones sont quant à eux dus à la course à l’innovation qui a conduit à réduire les tailles des batteries afin de les caser dans un volume défini par le téléphone. Ces choix ont provoqué des courts-circuits à l’intérieur des batteries. Ce n’est toutefois pas la technologie lithium-ion qui est en cause mais les contraintes imposées à ces batteries.
4) Sur quelles caractéristiques portent actuellement les recherches sur les batteries lithium-ion ? D’autres technologies sont-elles susceptibles de les remplacer ?
Nos recherches portent sur de nouveaux matériaux constituant les électrodes mais aussi sur des séparateurs plus performants pour éviter les emballements thermiques, des additifs pour augmenter la tension des batteries, etc. Nous cherchons aujourd’hui des matériaux qui permettraient de faire des batteries à 5 volts mais l’électrolyte ne le permet pas à l’heure actuelle.
Parmi les nouvelles technologies de batteries, nous travaillons beaucoup sur les batteries sodium-ion : le sodium est plus abondant que le lithium et ces batteries pourraient avoir une durée de vie très intéressante mais leur densité énergétique est plus faible que celle des batteries au lithium. Les batteries sodium-ion ne toucheront donc certainement pas le marché de la mobilité pour qui l’autonomie des batteries prime sur leur puissance.
Chaque application a des attentes particulières auxquelles on peut répondre par différentes technologies de batteries. D’autres technologies comme les batteries lithium-soufre et lithium-air nous laissent espérer un doublement de la quantité d’énergie pouvant être stockée (de l’ordre de 500 Wh/kg) mais nous rencontrons encore beaucoup de problèmes (architecture de ces batteries, durée de vie, etc.) que nous ne sommes pas certains de pouvoir résoudre.