Conseiller du Centre Énergie & Climat de l'Ifri
Les fuites de gaz qui sont intervenues le 27 septembre sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 constituent-elles un « game changer » majeur pour le secteur énergétique mondial ? Il est trop tôt pour savoir ce qui a causé ces fuites. Les enquêtes lancées par les autorités danoises, suédoises et russes et par les Nations unis permettront-elles de déterminer les conditions de ces fuites ? On peut l’espérer.
Il est clair qu’il ne peut pas s’agir d’un accident. S’il est arrivé qu’un câble sous-marin soit arraché par le chalut d’un bateau de pêche, c’est inenvisageable pour un tuyau de cette taille (1 420 mm de diamètre). L’hypothèse d’un accident causé par un séisme a été rejeté immédiatement par les autorités danoises et suédoises. Il s’agit donc d’un acte malveillant délibéré.
L’impact sur les approvisionnements de gaz est majeur : Nord Stream 1 a une capacité de 55 milliards de m3 par an, soit près d’un tiers du niveau des importations de gaz russe de l’Europe. La capacité de Nord Stream 2 est identique (mais sa mise en service de Nord Stream 2 a été différée sine die). Il faut par ailleurs rappeler que les livraisons de gaz via Nord Stream 1 ont été arrêtées cet été, pour des raisons techniques d’après les autorités russes.
C’est un évènement majeur qui aura des conséquences pour l’ensemble du secteur énergétique mondial. C’est la première fois qu’un tel acte contre une installation énergétique majeure est perpétré dans une zone de paix. Certes, il y a eu dans le passé des attaques sur des actifs majeurs du secteur énergétique mais celles-ci sont intervenues dans un contexte de conflit ouvert.
Cela a été par exemple le cas pendant la guerre entre l’Irak et l’Iran dans les années 1980 avec les attaques irakiennes du terminal iranien de Kharg et de plateformes pétrolières iraniennes ou la pose de mines par l’Iran dans le Golfe Persique. De même en janvier 2013, le site pétrolier d’In Amenas en Algérie a été attaqué par des djihadistes dans le cadre du conflit malien. Plus récemment, dans le contexte du conflit au Yémen, le complexe de traitement de pétrole brut d’Abqaiq en Arabie saoudite a fait l’objet d’une attaque par drones en septembre 2019, conduisant à une perte de production pendant plusieurs semaines.
L’attaque contre les gazoducs Nord Stream intervient dans un contexte géopolitique tendu mais la situation n’a rien à voir avec les conflits déclarés rappelés ci-dessus. C’est un signal fort pour l’ensemble du secteur énergétique.
Doit-on imaginer qu’une telle attaque puisse intervenir sur les plateformes pétrolières ou les oléoducs, gazoducs ou câbles divers présents en Mer du Nord ou ailleurs ? Est-il nécessaire de se prémunir contre de tels risques et comment ? Certes les opérateurs sont attentifs à la protection de leurs installations fixes. Mais assurer la sécurité des oléoducs et gazoducs sur des milliers de kilomètres représente un défi, tout comme le renforcement de la sécurité des câbles sous-marins comme vient de le suggérer le président de la République(1).