Vue aérienne du port et de la centrale au charbon du Havre. (©EDF-Didier Marc)
Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE précise, dans un document publié ce 3 avril(1), les conditions - dans les scénarios « les plus défavorables » - d'une fermeture d'ici à 2022 des dernières centrales au charbon en service en France.
La fermeture progressive des centrales à charbon présentée dans le « cas de base » de RTE
En novembre 2018, RTE avait estimé dans son Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité que les 5 dernières tranches au charbon en France (situées sur les sites de Cordemais, du Havre, de Gardanne et de Saint-Avold) pourraient être fermées d’ici à 2022 - comme s’y est engagé le gouvernement - « tout en conservant un niveau de sécurité d’approvisionnement équivalent à aujourd’hui ». Pour ce faire, les fermetures devraient être progressives : elles débuteraient mi-2020 avec l’arrêt de 2 réacteurs et concerneraient 2 autres tranches en 2021 et la dernière en 2022.
Ce « cas de base » présenté par RTE intègre également la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim durant cette période ainsi qu’un certain nombre d’hypothèses : mise en service de nouveaux moyens de production « pilotables » (centrale à gaz de Landivisiau, EPR de Flamanville) et de nouvelles interconnexions électriques (Eleclink entre la France et le Royaume-Uni), poursuite du développement des énergies renouvelables, des effacements et des efforts de maîtrise de la consommation, etc.
En janvier 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire a demandé à RTE de présenter des analyses complémentaires dans le cas de « configurations particulièrement dégradées », par exemple dans l'hypothèse de « décalages significatifs » de la mise en service de l’EPR de Flamanville (en 2023 ou 2024), de la centrale de Landivisiau (en 2022 ou 2023) ou de l’interconnexion Eleclink. Ces nouvelles analyses évaluent également l'impact potentiel pour le réseau électrique du projet de conversion à la biomasse des 2 tranches au charbon de la centrale de Cordemais (« Ecocombust »).
Le critère de sécurité d’approvisionnement non respecté dans les scénarios « les plus défavorables »
Dans les scénarios « les plus défavorables » (« non-réalisation cumulée de plusieurs des hypothèses principales du cas de base » de RTE), le critère de sécurité d’approvisionnement électrique en France - fixé par le code de l’énergie - « pourrait ne plus être respecté en 2022 ». Le gestionnaire de réseau précise toutefois que cette situation critique se limiterait à la période hivernale et serait « transitoire (au plus tard jusqu’en 2024) » avant la mise en service de nouveaux moyens de production.
Parmi les différents facteurs défavorables étudiés, « c’est le report de l’EPR qui constituerait la situation la plus pénalisante pour le système français », indique RTE (la puissance du réacteur de 3e génération est de 1 650 MW). Dans le cas « où seule la centrale de Landivisiau ou l’interconnexion Eleclink avec le Royaume-Uni ferait défaut par rapport au cas de base », le déficit de puissance sur le réseau devrait « être relativisé par rapport à l’ensemble des incertitudes existant à l’horizon 2022 », indique RTE.
Parmi ces incertitudes figurent notamment l’évolution de la consommation en France, le développement du reste du système électrique européen ou encore le « placement et le positionnement des visites décennales » des réacteurs du parc nucléaire français.
Dans l'hypothèse de retards de mise en service de l'EPR de Flamanville (mi-2024) et de l'interconnexion électrique Eleclink, RTE évalue entre 2 et 3 GW le manque de capacités sur le réseau électrique français par rapport aux « marges de sécurité ». (©Connaissance des Énergies, d’après RTE)
Les 3 grands « leviers » de RTE pour surmonter les scénarios les plus défavorables
En cas de scénario défavorable menaçant la sécurité d’approvisionnement sur le réseau électrique français, RTE présente 3 grands « leviers » permettant de dégager « des marges de manœuvre » :
- des actions de maîtrise de la demande d’électricité, comprenant des efforts d’efficacité énergétique et des appels aux gestes citoyens pour limiter la « pointe » de consommation en hiver (avec l'aide des compteurs communicants Linky dont le déploiement doit être généralisé d'ici à 2022) ;
- « l’optimisation » du placement et de la durée des arrêts des réacteurs nucléaires, RTE évoquant la possibilité de décaler certaines visites décennales(2) afin qu’elles n’interviennent pas en période hivernale ;
- le maintien en disponibilité d’une ou deux tranches de la centrale de Cordemais « fonctionnant au charbon ou converties à la biomasse » pour « quelques dizaines d’heures par an en moyenne » (250 h au maximum en cas d’hiver particulièrement froid).
RTE estime que chacun des deux premiers leviers mentionnés pourrait permettre de « relâcher les contraintes à la pointe de 1 à 2 GW » tandis que la disponibilité des unités de Cordemais apporterait une marge supplémentaire « proche d’un gigawatt ».
Au cours des dernières visites décennales des réacteurs nucléaires français, RTE fait état d’un dépassement moyen des durées d’arrêt prévues « supérieur à 60 jours ». (©Connaissance des Énergies, d’après RTE)
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a confirmé en conférence de presse « l'échéance de 2022 (pour la fermeture des dernières centrales à charbon en France) par rapport aux éléments sur la sécurité d'approvisionnement » fournis par RTE. Pour rappel, le charbon a compté pour 1,1% de la production d'électricité en France métropolitaine en 2018.
RTE souligne par ailleurs les contraintes de réseau dans la zone du Grand Ouest de la France qui exige « une vigilance spécifique ». Le gestionnaire de réseau juge ainsi « nécessaire que la fermeture des deux groupes charbon de Cordemais intervienne seulement une fois l’EPR mis en service ».
Une nouvelle évaluation de la sécurité d’alimentation du réseau électrique français sera publiée par RTE en novembre 2019 (dans son prochain Bilan prévisionnel). Le gestionnaire de réseau disposera d’ici là de nombreuses informations complémentaires permettant d’affiner ses prévisions : l’ASN doit notamment rendre pour le mois de mai 2019 sa décision sur la conformité des soudures du circuit secondaire principal de l’EPR de Flamanville, le démarrage effectif des travaux de construction de la centrale de Landivisiau est prévu pour l’été 2019 et le gouvernement prévoit de prendre une décision « à l’automne » sur le projet de conversion à la biomasse des tranches au charbon du site de Cordemais.
En 2018, les émissions de CO2 liées à la production électrique en France métropolitaine ont été réduites de 28% grâce aux « progressionsconjuguéesdesproductionsnucléaireethydraulique » au détriment du gaz et du charbon. (©Connaissance des Énergies, d’après RTE)