Marie-Claire Aoun

La vision de…
Marie-Claire Aoun

Responsable des relations institutionnelles de Teréga
Enseignante à l’Université Paris-Dauphine

La mise en œuvre de l’accord de Paris, signé en décembre 2015 par 195 pays représentant plus de 90% des émissions mondiales de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique en dessous des deux degrés, devrait se traduire par une transformation radicale et rapide du système énergétique mondial d’ici 2050. Selon l’Agence internationale de l’énergie, un tel scénario supposerait un bouquet énergétique global en 2040 composé de 57% d’énergies fossiles (13% charbon, 22% pour le pétrole et 22% pour le gaz) contre 81% aujourd’hui, de 11% de nucléaire et de 32% d’énergies renouvelables (hydroélectricité et biomasse compris).

Loin d’atteindre aujourd’hui ces objectifs de décarbonation, le cheminement vers une économie mondiale plus sobre en carbone en 2050 se heurte à la forte rigidité de nos systèmes énergétiques fondés sur des investissements lourds et coûteux, avec une durée de vie des infrastructures qui s’étale sur de longues décennies. Rappelons que, si à l’échelle nationale, les évolutions des bouquets énergétiques connaissent parfois des bouleversements rapides, le système énergétique mondial dans son ensemble frappe quant à lui par sa grande inertie : la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial n’a guère évolué depuis les années 1980.

Des signaux contraires confirment néanmoins le tournant actuel du secteur énergétique, en particulier pour le secteur électrique. Les baisses de coûts significatives observées ces dernières années dans les énergies renouvelables ainsi que les investissements considérables réalisés par la Chine, l’Europe et les États-Unis, en particulier dans le solaire et l’éolien, laissent entrevoir des perspectives prometteuses pour la décarbonation des systèmes électriques mondiaux.

Les progrès réalisés dans les technologies de stockage de l’électricité pour soutenir le déploiement des énergies renouvelables sont significatifs mais leur développement à grande échelle reste aujourd’hui soumis à de nombreuses incertitudes, tout comme d’autres solutions technologiques ayant des degrés de maturité différents, comme la capture et la séquestration du CO2 ou l’hydrogène. De plus, de nouvelles possibilités de réduction des coûts sont permises par la digitalisation du secteur énergétique, qui révolutionne cette industrie et crée de nouvelles opportunités, mais fait émerger aussi de nouveaux risques, comme celui de la cybersécurité.

La dynamique de transition dans le secteur électrique semble donc bien réelle. Elle n’est pas encore enclenchée dans les autres secteurs comme le transport et l’incertitude porte sur la vitesse et le rythme de cette transformation globale. Le secteur énergétique dans son ensemble semble tout de même s’orienter en 2050 vers un système plus décentralisé, plus interconnecté, plus efficace et moins carboné. Il conjuguera sans doute efficacité énergétique, digitalisation, stockage d’énergie et déploiement d’énergies sobres en carbone. Sera-t-il pour autant moins dominé par les facteurs géopolitiques ?

La mutation de nos systèmes énergétiques bouleversera selon toute vraisemblance les rapports de force établis sur la scène mondiale, face à la course entre les grandes puissances pour détenir les technologies bas-carbone de demain. La transition énergétique s’accompagnera peut être aussi de nouvelles interdépendances, envers par exemple le lithium et les terres rares. La géopolitique de l’énergie de demain sera aussi déterminée d’une part par une bien moindre dépendance des États-Unis envers le pétrole du Moyen-Orient, grâce à la révolution des hydrocarbures non conventionnels, et d’autre part par les liens accrus avec cette région de la Chine et de l’Inde, qui importeront 50% du pétrole échangé sur le marché international en 2040 (contre 25% aujourd’hui).

Les rapports de force géopolitiques qui dominent le secteur énergétique depuis les chocs pétroliers des années 1970, avec un pouvoir de marché de l’OPEP pesant sur les prix du pétrole, seront ainsi bien bouleversés en 2050. Dans ce paysage en recomposition, des interrogations fortes pèsent sur l’avenir des économies rentières des pays producteurs de pétrole, en l’absence de chocs de diversification économique vers d’autres secteurs pour pallier le déclin des recettes d’hydrocarbures et engranger de nouvelles sources de revenus. Le défi de plusieurs puissances pétrolières, l’Arabie saoudite en chef de file, est aussi exacerbé par une demande énergétique explosive sur le plan domestique qui risque d’assécher progressivement les volumes disponibles à l’exportation de l’or noir.

Un écrivain célèbre rappelait souvent « la seule chose dont on soit sûr, en ce qui concerne l’avenir, c’est qu’il n’est jamais conforme à nos prévisions ». Prédictions d’un pic pétrolier, d’une production américaine de pétrole de schiste peu résiliente ou d’un baril du pétrole à 200 $, les analyses dans le secteur énergétique n’ont eu de cesse de se tromper ces dernières années… Face à l’environnement actuel d’incertitudes technologiques, économiques et géopolitiques, l’exercice d’élaborer des prévisions à 2050 sur notre avenir énergétique n’aura jamais été aussi périlleux. 

parue le
02 mai 2017

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