Max Bankole Jarrett

La vision de…
Max Bankole Jarrett

Directeur de l’Africa Progress Panel

Le monde peut-il éviter une catastrophe climatique tout en mettant en place les systèmes énergétiques dont il a besoin pour assurer la croissance, créer des emplois et permettre à des millions de personnes de sortir de la pauvreté ? Ainsi s’interrogeait le président de l’Africa Progress Panel Kofi Annan dans l’avant-propos du rapport 2015 « Energie, population, planète : saisir les opportunités énergétiques et climatiques de l’Afrique »(1). Cette question est, à mon sens, l’un des principaux enjeux du développement du XXIe siècle.

Le changement climatique oblige tous les pays à repenser la relation entre énergie et développement. Toutefois, les différences dans les niveaux d’accès à l’énergie et les habitudes de consommation entre les pays développés et ceux en voie de développement appellent des stratégies différentes.

D’un côté se trouvent les pays africains pour lesquels l’enjeu est de satisfaire leurs besoins énergétiques pressants tout en assurant une transition rapide vers une croissance sobre en carbone. De l’autre côté, les pays industrialisés pour lesquels il est impérieux de dompter leurs consommations d’énergie et de réduire à zéro leurs émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050.

Renforcer les engagements des principaux pays émetteurs

Nos économies dépendent de systèmes énergétiques à fortes émissions de carbone qui ne peuvent que heurter de plein fouet les limites de notre planète. Nous pouvons cependant éviter cette collision. A cet effet, les pays industrialisés devront prendre des mesures plus ambitieuses que celles actuellement proposées par les États-Unis et l’Union européenne et œuvrer à réduire à zéro leurs émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050. Ils devront définir des étapes intermédiaires claires à l’horizon 2030.

L’Union européenne doit s’engager à réduire ses émissions de moitié d’ici 2030 et à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Elle doit également s’engager à éliminer la production d’électricité à base de charbon d’ici 2030. Les États-Unis doivent s’engager à réduire de 40% leurs émissions, à éliminer la production d’électricité à base de charbon d’ici 2030 et à atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050.

La Chine doit chercher à atteindre dès 2025 son pic d’émissions, soit 11 milliards de tonnes d’équivalent CO2 (700 millions de tonnes de moins que le niveau prévu pour 2030), en s’appuyant sur la promotion active des énergies renouvelables, la réduction du recours au charbon et l’adoption de mesures d’efficacité énergétique.

L’Australie, le Canada, la Russie et le Japon doivent également se fixer une feuille de route précise pour réduire drastiquement leurs émissions d’ici 2030 et atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Ils peuvent pour cela s’inspirer des grandes ambitions de certains pays africains tels que l’Éthiopie, le Kenya et le Rwanda qui, malgré leurs défis énergétiques actuels, s’engagent à éviter la voie dangereuse des émissions polluantes suivie par beaucoup de pays développés.

Développer l’immense potentiel énergétique du continent africain

Le déficit énergétique du continent africain est considérable mais il représente également une énorme opportunité à plusieurs égards. En Afrique, la demande d’énergie devrait monter en flèche d’ici 2050, sous l’impulsion de la croissance économique, des changements démographiques et de l’urbanisation.

D’ici 2050, près de la moitié des citoyens africains vivront dans des villes, contre à peine plus d’un tiers aujourd’hui. La population urbaine augmentera de 800 millions de personnes. Les conséquences en termes d’approvisionnement en énergie sont considérables. Aujourd’hui, les citadins consomment en moyenne trois fois plus d’électricité que les populations rurales. L’urbanisation réduit par ailleurs le coût des raccordements.

Les villes pourraient s’imposer comme des plateformes d’innovation. Les inquiétudes liées au changement climatique stimulent l’innovation qui permet de réduire le coût des énergies à faibles émissions de carbone. L’Afrique pourrait saisir cette occasion pour entrer de plain-pied dans une nouvelle ère de production électrique.

Aucune région ne dispose d’autant de sources d’énergie renouvelable qui soient aussi peu exploitées. La décentralisation des systèmes de production et de distribution d’électricité offre de nouvelles possibilités d’atteindre les populations actuellement négligées par les réseaux nationaux. Pourtant, une telle issue favorable n’est pas garantie.

L’Africa Progress Panel a évoqué pour la première fois le besoin d’une mobilisation plus active en vue d’accélérer l’électrification du continent africain dans notre rapport de 2015. Deux ans plus tard, la situation est toujours aussi pressante comme nous le montrons dans notre rapport « Lumière, puissance, action : électrifier l’Afrique »(2). Près des deux tiers de la population africaine, soit 620 millions de personnes, n’ont toujours pas accès « à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable », l’objectif énergétique au cœur du Programme de développement durable à l’horizon 2030.

Le déficit énergétique de l’Afrique continue d’asphyxier la croissance économique, la création d’emplois, la transformation du secteur agricole et les progrès en matière de santé et d’éducation. La réussite de l’objectif de développement durable numéro 7 des Nations unies, consacré à l’énergie, est indispensable à celle de nombreux autres objectifs.

Il est temps d’agir

Les gouvernements africains, les investisseurs et les institutions financières internationales doivent augmenter de manière significative leurs investissements dans le secteur énergétique de l’Afrique afin de libérer son potentiel de « superpuissance » en matière de faibles émissions de carbone. Responsable d’à peine 2,3% des émissions mondiales de CO2, l’Afrique pourrait devenir le chef de file d’un développement sobre en carbone et montrer ainsi la voie à suivre à d’autres régions du monde.

En tant que communauté mondiale, nous disposons des technologies, des moyens financiers et du savoir-faire qui nous permettraient d’opérer une transition vers un avenir sobre en carbone à l’horizon 2050. Il n’y a plus d’excuse possible. Il est temps de mettre en œuvre le leadership politique et les mesures concrètes nécessaires pour dissocier l’énergie des émissions de carbone.

parue le
12 octobre 2017