Ne faisons pas du LCOE le juge absolu des énergies

Arnaud Lejeune

Directeur, Banque Hottinguer

Dans le secteur des énergies (fossiles, nucléaires, renouvelables), le LCOE ou « Levelized Cost of Energy » est devenu un prisme d’analyse incontournable et même quasi unique. Entend-on qu’une technologie a un LCOE plus élevé qu’une autre ? Le couperet tombe aussitôt. La dite technologie est au mieux qualifiée de non mature et au pire de non viable… et ce sans autre forme de procès.

Or, le LCOE est comme tous les indicateurs bien faits, à la fois terriblement intéressant et terriblement limité… Il convient donc de l’utiliser à bon escient. Par exemple, le LCOE est un indicateur intéressant pour comparer deux projets concurrents, répondant à un cahier des charges identiques, à un moment et un endroit prédéfini. En revanche, comparer deux technologies de façon générique à l’aide du seul LCOE revient à trop simplifier et donc à ne pas prendre en compte l’ensemble des données. Citons de façon non exhaustive quelques arguments « pour » et « contre » le LCOE.

Le LCOE ou « Levelized Cost of Energy » est un indicateur financier très fréquemment utilisé dans le monde de l'énergie, en particulier renouvelable. C'est un (et non pas LE) calcul du coût complet de l'énergie. A ce titre, il peut être assimilé à une limite de rentabilité : si on vend l'énergie à un prix inférieur au LCOE, le projet dégage une rentabilité inférieure à celle des capitaux investis. Par extension, le LCOE est souvent utilisé pour évaluer l'attractivité d'un système ou même pour comparer des technologies. Le raisonnement utilisé est alors simple : plus le LCOE est bas et plus la technologie est économiquement attractive.

Le LCOE a bien des avantages. Pour commencer, c’est une référence simple, largement acceptée et pouvant être utilisée pour la quasi-totalité des systèmes de production d’électricité.

Ensuite, comme indiqué plus haut, c’est un calcul de « coût complet », c’est-à-dire qu’il prend en compte en théorie aussi bien les CAPEX, que les frais financiers, les frais de maintenance, les achats de combustibles, etc. On peut même donner une valeur monétaire aux émissions de CO2, prendre en compte les valeurs résiduelles / coûts de démantèlement ou autre.

Les limitations inhérentes au LCOE sont au moins aussi importantes que ses avantages.

Enfin, le calcul du LCOE nécessite d’actualiser les données annuelles, c’est-à-dire de prendre en compte différemment un coût prévu en année 1 et un coût prévu ultérieurement. Cela permet, dans une certaine mesure, de différencier les technologies dites « capital intensive » (typiquement les énergies renouvelables) nécessitant des mises de départ importantes, des technologies nécessitant peu d'investissements mais avec souvent des coûts ultérieurs plus importants (comme un générateur diesel, bon marché à l’achat mais avec des coûts de combustibles importants).

D’un autre côté, les limitations inhérentes au LCOE sont au moins aussi importantes que ses avantages. En premier lieu, le LCOE dépend fortement des hypothèses financières et notamment du levier financier, du coût de la dette et des rendements attendus par les investisseurs en capital. Ces derniers mois, on a vu une chute spectaculaire des LCOE des énergies renouvelables, PV et éoliens pour ne citer qu’eux. Or une partie importante de cette baisse est imputable à l’évolution simultanée de ces trois paramètres :

  • l’abondance de liquidité favorise l’augmentation des leviers ;
  • la baisse des taux bancaires permet de diminuer la charge d’intérêts supportée par les projets ;
  • les rendements attendus par les investisseurs se contractent dans un contexte où l’offre de capitaux tend à excéder la demande.

Le LCOE ne rend pas compte de certains services rendus comme la capacité de produire à la demande.

Ces paramètres financiers conjoncturels ont eu récemment un impact majeur sur l’évolution des LCOE, alors que les progrès technologiques - pourtant importants - ont paradoxalement eu une influence plus limitée.

En second lieu, le LCOE ne rend pas compte de certains services rendus comme la capacité de produire à la demande, de fournir une énergie directement injectable sur le réseau ou la présence de stockage. Ainsi, prenons deux centrales photovoltaïques A et B. Elles sont identiques en tout à ceci près que la centrale B dispose d'un système de stockage d'énergie. Son LCOE sera supérieur puisque le stockage a occasionné d’avantage d’investissements, de coûts de maintenance, etc. Néanmoins, le service rendu par la centrale B sera également supérieur à celui rendu par la centrale A. Le stockage permet de lisser la production d'énergie en sortie de centrale et de produire de l'énergie après le coucher du soleil. Ces fonctionnalités additionnelles peuvent justifier un coût de l'énergie plus élevé, ce que le LCOE ne peut traduire.

En troisième lieu, le LCOE donne un coût unique de production de l'électricité, souvent associé à un prix limite de vente de l'électricité. Or le prix de vente de l'électricité n'est pas constant. Il évolue au fil des années, des semaines, des heures, voire des secondes, parfois de façon très importante, d'autant plus que les équipements ont souvent une durée de vie de plus de 20 ans.

Enfin, dans la pratique, le LCOE ne peut être un critère unique pour choisir une technologie plutôt qu’une autre. Par exemple, les petits réseaux locaux (en Afrique notamment) reposent souvent sur des générateurs diesel qui ont un LCOE extrêmement élevé. Un certain nombre de ces régions dispose d’un ensoleillement suffisant pour recourir à l’énergie photovoltaïque dont le LCOE est plus attractif. Néanmoins, l’investissement de départ pour se doter des panneaux est prohibitif, ce qui explique l’utilisation des générateurs diesel, et ce malgré les coûts ultérieurs de carburants importants. Le mécanisme d’actualisation, cité ci-dessus, ne permet pas de traduire à lui seul l’impossibilité de certains groupes / organisations à réaliser des investissements de départs conséquents...

Commentaire

Faessler

Et le prix des énergies fossiles fluctuent durant toute la durée de vie de l'installation et est extrêmement difficile, sinon impossible, à prédire

JB Conseils en…

Bravo pour la qualité de l'article...en effet, vous rejoignez ce que notre cabinet prêche depuis de nombreuses années souvent dans le désert intellectuel des pures financiers qui nous font face: soudés au LCOE WACC IRR... Seules les financiers "ouverts" où à double formation/ parcours comprennent les influences intrinsèques et extrinsèques de l'environnement énergétique changeant des EnR intermittentes et de base (géothermie, hydraulique au fil de l'eau, biomasse, ETM, ...):
1- l'absence de signal carbone fort variant avec la saison et l'heure de consommation (différents scenarii en €-$/T Carbon éq. ou réellement comptabilisé en "shadow carbon accounting" pour valoriser le risque climatique inhérent à l'investissement/ au projet),
2- l'apparition relativement récente du LCOS Levelised Cost of Storage portée par LAZARD pourrait réconcilier certains lecteurs.
2- la régulation européenne en Flow Based Market Coupling (FBMC) en Day Ahead qui doit s'améliorer. Par exemple en s'inspirant du modèle américain de la FERC Order N°755 (cf. point 4) non adopté dans l'ensemble des USA.
3- le FBMC ne valorise pas suffisamment certaines fonctions performantes de services au réseau permises par le stockage électro-chimique/ hydraulique des EnR intermittentes
4- le modèle innovant US porté par la FERC Order N°755 du Pay for Performance rémunère correctement cette fonction de stockage et d'autres fonctions évoquées dans l'article. La FERC Order N°755 renforce le caractère dynamique et efficient du réseau Californien appliquée par le régulateur californien CAISO.
Voilà! A votre disposition
Energétiquement vôtre,
Hervé MATHIASIN DG [email protected]

Mathieu

J'ai encore du mal à voir le "mécanisme d’actualisation", comme un mécanisme bénéfique dans l'aide à la décision, car il sert surtout à négliger les coûts et bénéfices futurs, et grossir les coûts court terme (du genre investissement initial).
Je comprends que la volonté est de prendre en compte l’impossibilité de certains groupes / organisations à réaliser des investissements de départs conséquents, mais pour ces acteurs là un autre indicateur pourrait être pris.
En attendant, de nombreuses organisations n'ont pas cette contrainte, tant qu'on reste dans le budget défini, et l'actualisation ne fait que favoriser les avantages court-terme et les pollutions long-terme. En cela, il est un des mécanismes de calculs qui participent à la destruction de notre lieu de vie.

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