Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Définitions
« Un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources, et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre » (Accord de Paris, article 4).
- « Climate neutrality refers to the idea of achieving net zero greenhouse gas emissions by balancing those emissions so they are equal (or less than) the emissions that get removed through the planet’s natural absorption » (A Beginner’s Guide to Climate Neutrality, Site de l’UNFCCC, consulté le 18/05/2021)
La neutralité climatique introduite à l’article 4 de l’accord de Paris s’applique à l’échelle de la planète. Elle vise à équilibrer les rejets anthropiques de gaz à effet de serre et leur élimination par les puits. Autrement dit, à atteindre une situation « ZEN » (« Zéro Emissions Nettes ») dans laquelle le flux des émissions entrant dans l’atmosphère s’équilibre avec celui qui s’en échappe.
Dans une telle situation d’équilibre entre flux entrant et flux sortant, l’activité humaine cesse d’accroître le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à l’origine du réchauffement de la planète. Elle est devenue neutre pour le climat : le nouvel horizon des politiques climatiques.
Neutralité climatique & compensation carbone : éviter les confusions
Pendant longtemps, le terme de « neutralité » a été associé à l’idée de « compensation carbone » à l’échelle microéconomique. Par exemple, la « neutralité carbone » d’un voyage est atteinte si le voyageur compense l’empreinte de son déplacement par l’achat de crédits réduisant ou absorbant un montant d’émission équivalent. Les deux mécanismes de projet du protocole de Kyoto ont contribué à la diffusion de telles pratiques.
Malgré la similarité du mot, il n’y a pas continuité entre une telle neutralité carbone à l’échelle microéconomique et la neutralité climatique visée par l’accord de Paris. L’addition des projets de compensation à l’échelle microéconomique ne conduirait pas à la neutralité climatique globale. Elle pourrait même en retarder l’échéance si les projets de compensation justifient un accroissement de nos émissions brutes : par exemple prendre plus souvent l’avion puisque notre vol a été rendu neutre en carbone grâce à la compensation.
La neutralité carbone selon l’Agence internationale de l’énergie
En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie a rendu public un scénario conduisant le système énergétique mondial à la neutralité carbone en 2050. Ce rapport, publié quelques mois avant la conférence climatique de Glasgow (COP26), recommande de cesser tout investissement de capacité dans le pétrole et le gaz d’origine fossile : une petite révolution pour une organisation créée au lendemain du premier choc pétrolier pour faciliter la continuité des approvisionnements en hydrocarbures !
Pour que le monde soit « ZEN » en 2050, le scénario implique une réduction des émissions brutes d’origine énergétique à 7,7 Gt en 2050, soit un montant proche des émissions cumulées des États-Unis et de l’Union européenne en 2019. Sur ces 7,7 Gt rejetées par les énergies fossiles et les process industriels, 5,3 Gt sont retirées de l’atmosphère grâce au déploiement de techniques de captage artificiel. Les 2,4 Gt résiduelles sont capturées par deux voies : le captage direct du CO2 de l’atmosphère (1 Gt) et celui du CO2 émis par des installations fournissant de la bioénergie (1,4 Gt).
Le scénario de l’Agence met-il automatiquement le monde en situation de neutralité climatique ? Ce n’est pas certain. Tout dépend de deux paramètres :
- Le scénario est explicite sur le captage et le stockage du CO2 par des procédés industriels. Mais quid de celui du milieu naturel ? Le scénario repose sur un développement accéléré de nouvelles bioénergies considérées comme neutres car on suppose que les prélèvements accrus de biomasse n’affaibliront pas la capacité de la biosphère à capturer le carbone. Mais en est-on sûr ? On ne peut pas à la fois brûler les plantes pour produire de l’énergie et compter sur leur croissance pour absorber le CO2 de l’atmosphère.
- L’autre inconnue majeure est la trajectoire d’émission du méthane et du protoxyde d’azote, les deux principaux gaz à effet de serre que nous rejetons, après le CO2. Leur première source d’émission est l’agriculture. Ici encore, les travaux de l’Agence ne permettent pas de savoir à quelles conditions ces émissions baissent suffisamment vite pour viser le neutralité climatique au sens de l’Accord de Paris.
Dans les deux cas, c’est donc le « carbone vivant », celui que nous rejetons ou absorbons suivant la façon dont nous utilisons le sol pour l’agriculture et la forêt qui constitue l’angle mort de la neutralité carbone selon l’Agence internationale de l’énergie.
La neutralité climatique selon le GIEC
Dans le rapport « Global Warming of 1,5°C » publié en 2019(1), le GIEC a répertorié les scénarios compatibles avec un réchauffement planétaire limité à 1,5°C. Sa première conclusion est qu’il faut viser la neutralité climatique globale dès 2050, soit vingt ans plus tôt que pour viser une cible de 2°C.
- Le scénario P1 implique une réduction de 58 % des émissions de CO2 et de 24 % de celles de méthane d’origine agricole entre 1990 et 2030. Grâce à cette baisse très rapide, la neutralité climatique est atteinte en 2050 sans déploiement de nouvelles techniques de captage ;
- Les scénarios P2 et P3 réduisent moins fortement les émissions de CO2 d’ici 2030. Il est alors nécessaire de déployer ces techniques de captage de CO2 qui s’appliquent à des sources fossiles mais aussi à de la bioénergie (surfaces en jaune) pour éliminer le trop plein de CO2 dans l’atmosphère (émissions « négatives ») ;
- Le scénario P4 réduit plus lentement des émissions de CO2, ce qui implique le déploiement à grande échelle de ces techniques pour compenser le dépassement initial du budget carbone compatible avec une cible de 1,5°C.
L’une des grandes inconnues des scénarios P2 à P4 concerne le potentiel de bioénergie qu’on peut utiliser sans affaiblir la capacité du milieu naturel à absorber le CO2 : par exemple en étendant les surfaces dédiées à la bioénergie au détriment du couvert forestier.
L’implication de l’objectif de neutralité : « marcher sur deux jambes »
Les scénarios visant un monde « ZEN » convergent sur un point : pour viser la neutralité climatique, il ne suffit pas d’accélérer la transition énergétique pour abattre le plus de CO2 possible. Il convient de simultanément opérer la transition agroécologique, la deuxième jambe de l’action qui vise deux objectifs : la réduction des émissions de méthane et de protoxyde d’azote de l’agriculture ; le renforcement de la capacité du milieu naturel, notamment les forêts et les sols agricoles, à absorber le CO2 présent dans l’atmosphère.
Une autre façon de le dire est qu’il faut agir sur deux fronts : celui du « carbone mort » , une matière autrefois vivante qui a été transformée dans le sous-sol en énergie fossile durant des millions d’années (et plus !) par l’action du milieu naturel ; celui du « carbone vivant » , issu de la photosynthèse, qui transforme le CO2 de l’atmosphère en matières vivantes, le premier maillon de la chaîne du vivant et de ses innombrables interactions constituant la biodiversité.
En reposant sur ses deux jambes, l’action climatique agit ainsi simultanément en faveur du climat et de la biodiversité.
Cet article, initialement intitulé « N… Comme Neutralité climatique », est issu d'un abécédaire publié sur le site de Christian de Perthuis répertoriant « les notions clefs à maîtriser pour participer utilement au débat sur l’action climatique ».
Nous vous invitons à découvrir l'intégralité de cet abécédaire en cliquant ici.