L’investissement envisagé par Gazprom et ses partenaires dans Nord Stream 2 est actuellement estimé à 9,5 milliards d’euros. (©Nord Stream 2 / Wolfram Scheible)
Après avoir longtemps soutenu la visée commerciale de Nord Stream 2, la chancelière allemande Angela Merkel a reconnu, par ses déclarations cette semaine, la dimension éminemment politique du projet de gazoduc. État des lieux.
« Pas une copie de Nord Stream 1 »
Pour rappel, Nord Stream 2 est un projet de gazoduc sous-marin allant de la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Il est censé suivre un tracé très proche de celui du gazoduc Nord Stream (mis en service en 2012) et disposer d’une capacité similaire de transport de 55 milliards de m3 de gaz naturel par an (via 2 pipelines ayant chacun une capacité de 27,5 Gm3 par an).
Nord Stream 2 ne constitue toutefois « pas une copie de Nord Stream 1 », met en garde Thierry Bros, chercheur senior associé à l’Oxford Institute for Energy Studies, qui rappelle que Nord Stream 1 était à l’origine « un pipe de production » devant relier le gisement géant de Chtokman au marché d’Europe de l’Ouest. Officialisé en septembre 2015 par Gazprom et ses partenaires(1), le projet Nord Stream 2 doit quant à lui relier le réseau russe à l’Allemagne et permettre ainsi selon Moscou de satisfaire la future hausse de la demande européenne.
Nord Stream 2 constitue surtout un moyen de contourner l’Ukraine, voie de transit historique du gaz russe(2), après plusieurs « crises gazières » entre Moscou et Kiev et plus encore après l’annexion de la Crimée en 2014. Les relations gazières entre Gazprom et la société ukrainienne Naftogaz sont aujourd’hui régies par un contrat signé en 2009 pour une durée de 10 ans. L’expiration de ce contrat à fin 2019 fait craindre en Ukraine la fin du transit du gaz russe sur son territoire (et des retombées économiques associées), le président ukrainien Petro Porechenko craignant que son pays soit victime d'un « blocus économique et énergétique »(3).
Carte du projet Nord Stream 2 (©Connaissance des Énergies)
Le « principe de réalité » d’Angela Merkel
Jusqu’ici, l’Allemagne avait poussé Nord Stream 2 comme un projet « économique » et avait levé fin mars les derniers obstacles à la construction du gazoduc. Lors d’une conférence de presse avec Petro Porochenko, la chancelière Angela Merkel a toutefois annoncé le 10 avril qu’il était nécessaire de « pérenniser le rôle de l’Ukraine dans le transit du gaz russe vers l’Europe ». Elle a ainsi reconnu « le rôle hautement politique et hautement économique de Nord Stream 2, un principe de réalité pour toute grande infrastructure, comme pour un barrage hydroélectrique ou une centrale nucléaire », explique Thierry Bros.
Cette annonce vient perturber les plans russes et a poussé Gazprom à annoncer dans la foulée qu’ « un certain transit (par l'Ukraine) peut être conservé, d'un volume de 10-15 milliards de m3 par an », le président du géant russe précisant toutefois que « la partie ukrainienne doit justifier l'intérêt économique d'un nouveau contrat de transit ». Ce volume serait toutefois très inférieur à ceux circulant actuellement vers l'Europe via l’Ukraine (93,5 milliards de m3 en 2017 selon les statistiques ukrainiennes) et largement en deçà de la rentabilité nécessaire selon Kiev (de l’ordre de 40 milliards de m3 par an).
Un enjeu concurrentiel majeur
Outre l’Ukraine, le projet Nord Stream 2 a fait l’objet de nombreuses critiques au sein de l’Union européenne, notamment de la Pologne, des États membres baltes et de l’est de l’Europe. « Rarement un projet d’infrastructure aura autant fait débat dans les hautes sphères politiques et diplomatiques », soulignait déjà fin 2016 Marie-Claire Aoun, alors directrice du Centre Énergie de l’Ifri dans une note consacrée au projet.
Le projet reste soumis à deux freins majeurs, rappelle Thierry Bros : l’approbation du Danemark du passage du gazoduc dans ses eaux territoriales et l’évolution de la réglementation européenne qui n’est « pas gravée dans le marbre » (avec de possibles contraintes futures sur le taux d’utilisation de Nord Stream 2). Sur ce deuxième point, Thierry Bros souligne que la volonté du régulateur européen de ne pas trop dépendre d’une source de production(4) (l’approvisionnement de l’UE à 28 dépendait du gaz russe à près de 30% en 2017) est menacée par le projet de gazoduc.
Nord Stream 2 ne garantirait pas une baisse des prix, bien au contraire selon Thierry Bros, compte tenu de la plus grande mainmise de Gazprom sur le marché gazier européen, qui ne serait pas nécessairement compensée par les arrivées de gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe de l’Ouest. Dans ces conditions, le sort de Nord Stream 2 dépendra bien d’un arbitrage entre des considérations politiques et économiques et le verdict final ne saurait satisfaire les différentes parties. Reste à préciser la solution la plus favorable pour les consommateurs européens.