La perception de la dangerosité du nucléaire est liée aux accidents majeurs mais quels sont les risques propres à l'atome ? (©photo)
Définition et catégories
Comme toute activité humaine, l’exploitation de l’énergie nucléaire comporte des risques mais sa dangerosité fait plus débat que d’autres. La question se pose avec une acuité particulière en France, où près de 80% de l’électricité produite est d’origine nucléaire.
Les accidents sur les sites nucléaires focalisent les inquiétudes en raison des conséquences potentielles de rejets radioactifs sur l'homme et l’environnement.
D’un point de vue technique, la dangerosité du nucléaire doit être appréhendée dans une optique globale : en amont depuis la mine jusqu’à la fabrication du combustible, dans les centrales nucléaires et en aval lors des opérations de recyclage et de gestion des déchets nucléaires.
Les dangers
En cas d’accident, les activités nucléaires sont susceptibles d’exposer l’homme et l’environnement à de plus ou moins fortes doses de radioactivité. Ce danger est renforcé par le caractère non perceptible du risque radioactif et par le fait qu’il s’inscrit dans une échelle de temps longue. Par exemple, le césium 135 a une période radioactive de 2,3 millions d’années mais son activité est très faible. En pratique, les difficultés proviennent principalement à court terme des rejets d’iode 131, de période 8 jours, et à plus long terme du césium 137, de période 30 ans.
Les risques se situent à différents stades du cycle nucléaire :
- en amont (extraction, enrichissement et fabrication de combustible) : l’extraction du minerai d’uranium génère des déchets miniers et des rejets résiduels (ex : radon, poussières radioactives). L’enrichissement de l’uranium et la production de combustible présentent essentiellement des risques chimiques ;
- en phase d’exploitation : les centrales nucléaires sont confrontées aux risques industriels classiques (incendie, défaillance électrique…) et aux agressions externes (séisme, inondation...). Pour les centrales actuelles, le risque majeur est la fusion du cœur du réacteur nucléaire contenant le combustible (en raison d’une augmentation brutale de puissance ou d’un défaut de refroidissement) ;
- en aval (retraitement du combustible usé, transport et gestion des déchets) : la manipulation de plutonium et de combustibles usés génère des risques liés à l’utilisation de matières irradiantes de forte toxicité (rejets radioactifs, criticité, explosion liés aux gaz de radiolyse émis, dégradations d’équipements).
Les scénarios des risques majeurs en phase d'exploitation
Fusion du cœur
Il s’agit de l’accident le plus grave pouvant survenir dans une centrale. Dans ce cas de figure, les crayons des combustibles contenant la matière fissile se mettent à fondre et libèrent dans la cuve du réacteur des produits hautement radioactifs. La fusion du cœur peut survenir même lorsque la réaction en chaîne est arrêtée, en raison de la puissance résiduelle résultant de la radioactivité des produits de fission.
La fusion du combustible a pour origine un défaut de refroidissement qui peut provenir de :
- une puissance excessivement élevée du réacteur, un défaut de circulation ou une fuite du réfrigérant provoquant un débit insuffisant pour refroidir le cœur ;
- un incendie autour du combustible nucléaire (uniquement possible dans le cas des réacteurs conçus avec un modérateur au graphite).
Si la cuve du réacteur et l’enceinte de confinement (bâtiment) qui l’entoure restent intègres, les rejets radioactifs résultant de la fusion du cœur sont faibles (cas de Three Mile Island). Ces faibles rejets de produits radioactifs peuvent être libérés dans l’atmosphère par deux voies :
- la voie dite « collectée » : les rejets sont récupérés par le système de ventilation/filtration et évacuées vers l’extérieur par la cheminée ;
- la voie dite « non-collectée » : des rejets radioactifs s’échappent par les fuites naturelles de l’enceinte de confinement.
En cas de rupture d’étanchéité de la cuve et de l’enceinte de confinement, pouvant résulter notamment d’une explosion (cas de Fukushima), les rejets sont beaucoup plus importants, comportant des produits radioactifs gazeux, en particulier l’iode 131 et des produits volatiles à haute température, notamment les composés de césium qui se condensent en refroidissant dans l’atmosphère et retombent sur les sols avec les pluies.
Un autre risque dans ce scénario est que le corium, magma issu de la fusion, perce la cuve puis la dalle de béton de l’enceinte, risquant alors de contaminer les sols et les nappes phréatiques. Notons que la convergence éventuelle dans le sol de corium provenant de plusieurs réacteurs ne peut pas provoquer d’explosion nucléaire.
La probabilité annuelle de fusion du cœur d’un réacteur à eau pressurisée est estimée à 1 pour 100 000.
Formation d’hydrogène
Au-delà de 1400°C (la température normale du cœur est de 300°C), le zirconium des barres de combustible peut s’oxyder et former de l’hydrogène : Zr + H2O -> ZrO2 + H2.
Cet hydrogène est explosif au contact de l’oxygène et peut donc compromettre la solidité de l’enceinte de confinement, qui laisserait alors échapper des rejets radioactifs.
Des « recombineurs catalytiques passifs d’hydrogène »(1) sont utilisés, notamment dans les centrales d’EDF, pour limiter la concentration de ce gaz et éviter les explosions (comme celles de Fukushima).
Plus généralement, les modes de défaillance de l'enceinte de confinement des réacteurs à eau sous pression et eau bouillante ont été classés dans le rapport américain « Rasmussen » publié en 1975 :
- le mode α : explosion de vapeur dans la cuve ou le puits de cuve, provoquant la défaillance à court terme de l'enceinte de confinement ;
- le mode β : défaut d'étanchéité de l'enceinte, initial ou rapidement induit ;
- le mode γ : explosion d'hydrogène dans l'enceinte conduisant à sa défaillance ;
- le mode δ : mise en surpression lente dans l'enceinte conduisant à sa défaillance;le mode ε : traversée du radier en béton par le corium conduisant à sa percée.
Différents modes de défaillance d'une enceinte identifiés par le rapport Rasmussen (©2011 d'après IRSN)
Les conséquences pour l'homme et l'environnement
Les personnes peuvent être exposées à des forts rejets radioactifs dus à :
- une exposition externe (ou irradiation) lorsque les produits radioactifs sont situés en dehors de l’organisme ;
- une exposition interne (ou contamination interne) lorsque les produits radioactifs se déposent à l'intérieur de l'organisme (par inhalation, ingestion, blessure ou brûlure).
On parle d’urgence radiologique lorsqu’un évènement nucléaire risque d’entraîner « une émission de matières radioactives ou un niveau de radioactivité susceptibles de porter atteinte à la santé publique »(2). La gravité de chaque évènement et ses conséquences sur les populations et l’environnement sont mesurées sur l’échelle INES.
Les accidents graves touchant les centrales peuvent entraîner un rejet de nombreux éléments radioactifs nocifs pour la santé : des gaz rares (krypton, xénon), de l’iode radioactif, du césium, du tellure ou encore du strontium. L’ingestion de comprimés d’iode stable, qui vient se fixer sur la glande thyroïde permet une protection contre l’iode radioactif, qui ne peut pas se fixer sur la glande déjà saturée en iode. Les autres rayonnements ionisants nécessitent d’autres mesures de protection de la population (mise à l’abri, évacuation)(3).
Lors d’accidents nucléaires, la contamination de l’environnement touche la faune (effets similaires à l’homme), la flore, les cultures et les sols (transfert à l’homme via l’eau et l’alimentation).
Ci-dessous, une échelle des radiations rappelle que la radioactivité est un phénomène naturel et qu’elle n’est toxique qu’à très forte dose. Lors d’une exposition globale aigue, on assiste à l’apparition de nausées et à une baisse des globules blancs à partir de 1 000 mSv. Un des enjeux actuels est l’évaluation des effets de doses plus faibles de rayonnements ionisants (inférieures à 100 mSv) à moyen ou long terme :
Classement des doses efficaces du comité scientifique sur l'effet des radiations de l'ONU, l'UNSCEAR (©2011)(4)
Pour rappel, 1 mSv : exposition artificielle annuelle (expositions médicales + industries nucléaire et civile)
Les faits
Malgré toutes les mesures de prévention, le risque zéro n’existe pas. Voici le bilan des accidents nucléaires majeurs :
- Kyshtym (1957, niveau 6 sur l’échelle INES) : explosion dans une usine de retraitement du combustible nucléaire. Estimation de 200 morts de cancers suite à une exposition directe aux radiations mais l’information manque en raison de la censure de l’Union soviétique ;
- Three Mile Island (1979, niveau 5) : fusion partielle du cœur sans perte d’étanchéité du confinement. Faibles rejets, pas de victime directe ;
- Tchernobyl (1986, niveau 7) : explosion du réacteur suite à une montée brutale de puissance. Premier bilan officiel de l’AIEA et de l’OMS de 56 morts directs (47 secouristes et 9 enfants victimes de cancers de la thyroïde). En septembre 2005, le « Forum Tchernobyl », constitué de huit agences de l’ONU, estime le nombre total de décès en raison des irradiations de Tchernobyl à 4000. Ce chiffre n’inclut pas les régions moins contaminées, que ce soit en ex-URSS ou ailleurs en Europe et est très contesté par de nombreuses ONG ;
- Fukushima (2011, niveau 7) : perte de refroidissement de réacteurs à l’arrêt, suivie d’explosions d’hydrogène endommageant le confinement. Peu ou pas de victime immédiate. Les conséquences sanitaires devraient être très limitées mais plusieurs dizaines de milliers de personnes évacuées pour une durée inconnue.
Ces accidents ont un impact très important sur la perception de la dangerosité du nucléaire et ont entraîné l’adoption de nouvelles procédures pour réduire les risques des centrales existantes ainsi que le développement de modèles améliorés pour les constructions nouvelles.
A nouveau, suite à l’accident de Fukushima, tous les pays concernés ont engagé une revue de sûreté de leurs installations prenant en compte des situations très exceptionnelles comme celle rencontrée au Japon.
Malgré la gravité de l’accident de Tchernobyl, la production d’énergie nucléaire affiche statistiquement un bilan plus positif en termes de sûreté et de pollution que les autres modes de production massive d’électricité (hydaulique, charbon, pétrole ou gaz).
En 2010, 1107 incidents nucléaires ont été rapportés à l’ASN en France, dont trois de niveau 2 sur l’échelle INES (ex : « perforation d’un gant de protection »). Le niveau de sûreté nucléaire et de radioprotection est jugé « assez satisfaisant »(5) par l’ASN.
La dose annuelle cumulée maximale, reçue par les travailleurs du nucléaire, est fixée à 20 mSv par an. Dans les faits, le niveau de radiation subie est bien inférieur et le nombre de dépassements de ce seuil se réduit chaque année, comme en témoigne le tableau ci-dessous de l’IRSN(6).
Nombre de dépassements par an de la dose de 20 mSv reçue par les travailleurs du nucléaire (©2011 d'après IRSN)
Les centrales rejettent des éléments radioactifs liquides ou gazeux en fonctionnement normal. Ces rejets constituent une partie infime de la radioactivité des réacteurs et ne sont pas nocifs car ils sont soumis à des normes réglementaires strictes. Autour de la centrale de Golfech, les rejets annuels mesurés(7) atteignent 0,0026 mSv alors que la radioactivité naturelle est de 2,4 mSv par an.
Les enjeux
Prévention des risques
En France, la loi du 13 juin 2006(8) relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (dite TSN) offre une définition de la sécurité et de la sûreté nucléaire :
- la sécurité nucléaire comprend « la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d'accident » ;
- la sûreté nucléaire correspond à « l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets ».
Contrôle des centrales
Un ensemble de « lignes de défense » (structure externe en béton armé, enceinte de confinement, mécanismes de contrôle, refroidissement d’urgence…) permet de prévenir les dangers potentiels afin de garantir une « défense en profondeur » des installations nucléaires.
La construction d’installations nucléaires intègre les risques d’agressions externes (naturelles comme à Fukushima ou actes de terrorisme) face auxquels l’exploitant doit assurer des défenses adaptées. Le vieillissement des installations doit également être maîtrisé. En France, la loi TSN impose un réexamen de sûreté des installations nucléaires tous les dix ans.
Gestion des matières et déchets nucléaires
Le mode de gestion des déchets nucléaires est national mais leur transport est encadré par des normes internationales fixées par l’AIEA. Les transports doivent être fiables et des procédures d’intervention sont prévues en cas d’accident. Les colis ont l’obligation d’être robustes et doivent résister à des tests de résistance (par exemple : un feu de 800°C pendant 30 minutes). Notons qu’il est impossible de fabriquer une bombe nucléaire avec des déchets radioactifs.
Information des populations
La qualité de l’information sur les dangers du nucléaire et sur la radioprotection est essentielle afin de garantir la transparence de l’exploitation de cette énergie. En France, elle est notamment assurée par le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, l’IRSN et les Commissions locales d’information.
Lutte contre la prolifération des armes nucléaires
Le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), conclu en 1968, vise à empêcher la création de nouvelles armes nucléaires, un risque difficile à éliminer totalement. Il encourage une coopération pacifique dans le domaine du nucléaire civil.
Les acteurs
Les responsabilités supérieures en termes de sécurité nucléaire incombent aux Etats, en particulier ceux dotés de l’arme nucléaire. Au niveau international, l’AIEA veille à « assurer un usage sûr et pacifique des technologies et des sciences liées au nucléaire ».
Les acteurs contrôlant, évaluant et communiquant sur la dangerosité du nucléaire sont multiples :
- l’exploitant (EDF en France, Constellation aux Etats-Unis…), qui est responsable de la sûreté des centrales nucléaires et doit s’assurer que celles-ci ne présentent pas de risques pour la population et l’environnement ;
- l’Autorité de contrôle (ASN en France), organisme réglementaire, qui autorise, inspecte et sanctionne les centrales. Elle doit être indépendante vis-à-vis du gouvernement ainsi que des entreprises du secteur nucléaire ;
- les acteurs en charge de la gestion des déchets nucléaires (comme l’Andra en France, chargée de l’inventaire des déchets radioactifs et de la gestion des centres de stockage) ;
- les organismes de recherche (comme le CEA en France), de surveillance et d’information (comme l’IRSN ou la CRIIRAD) ;
- les organismes à caractère scientifique comme le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) qui valident et de cautionnent les résultats d’études nationales et internationales relatives aux effets des rayonnements ionisants sur l’homme.