Ingénieur en génie atomique et membre de PNC-France
Le chef de l’État vient de déclarer sa foi en l’énergie nucléaire en des termes très clairs au Creusot. « L'énergie nucléaire est l'énergie non-intermittente qui émet le moins de CO2. Le GIEC le confirme, la Commission européenne le souligne ».
Mais on ne peut que s’interroger sur la suite de son discours(1) lorsqu’il précise avoir « toujours assumé que si nous devons rééquilibrer notre mix énergétique en réduisant la part du nucléaire, l'atome doit continuer à être un pilier de celui-ci pour les décennies à venir ».
Dans le même temps, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a ouvert jusqu’au 15 janvier 2021 une consultation du public sur son projet de décision relatif à la prolongation au-delà de 40 années du fonctionnement des réacteurs 900 MWe du parc nucléaire français(2). Voilà donc une situation paradoxale qui demande explication.
La « prépondérance » du nucléaire
La limitation à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique de notre pays à l’horizon 2035 est-elle raisonnable ? Estimée au « doigt mouillé » (pourquoi pas 40% ou 60% ?) cette limitation n’a jamais été véritablement justifiée. Sa mise en œuvre nécessitera, après l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, celui de 12 autres réacteurs nucléaires en parfait état de marche d’ici 2035. Un gâchis économique monumental qui aura aussi pour conséquence la diminution des marges de production malgré le lancement espéré d’un programme de construction de six « EPR 2 ».
Oublié l’âge de la « vieille » centrale de Fessenheim, c’est la prépondérance du nucléaire dans le mix électrique qui est aujourd’hui contestée par la ministre de la Transition écologique, la diversité des moyens de production étant jugée insuffisante. Pourtant, après 40 années de fonctionnement sans incidents graves, « mettre tous ses œufs dans le même panier » comme le déplore la ministre n’a jamais été une faiblesse, le parc nucléaire ayant fait la preuve de son aptitude à conserver le niveau de sûreté requis et à maintenir un niveau élevé de production de ses installations.
Quid des marges de production ?
Comme on le sait, la production de l’électricité doit s’adapter à chaque instant aux besoins du réseau. Des marges sont donc nécessaires pour garantir à tout moment la continuité de fourniture sans avoir à choisir le cas échéant entre un niveau de sûreté dégradé et un risque de coupure d’une énergie devenue aussi vitale qu’elle était stratégique.
Depuis André-Claude Lacoste, cette recommandation est portée par les différents présidents de l’ASN. Elle n’a jamais été entendue par les dirigeants politiques en responsabilité sur ce dossier.
Or, la diminution des moyens de production utilisant des combustibles fossiles et la limitation à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2035, c'est-à-dire demain, ne fera qu’aggraver ce manque de marge avec un risque de délestages. Dans ses prévisions du 19 novembre, RTE indique, avec les perturbations ayant affecté le programme de maintenance des réacteurs nucléaires dues aux effets de la crise sanitaire, que « le réseau pourrait être confronté à des difficultés d’approvisionnement en janvier et surtout en février 2021, en cas de vague de froid »…
Il est urgent de revoir la LTECV
En convenant que les besoins en électricité vont croître fatalement en raison de l’évolution de notre démographie et de ses nouveaux usages (véhicules électriques, numérique, chauffage des habitations si la RE 2020 se confirme…), il serait opportun de revenir sur cette limitation arbitraire du nucléaire, inscrite dans la LTECV (loi de transition énergétique pour la croissance verte(3)), qui affaiblira notre capacité à produire une électricité bas carbone, d’un coût raisonnable et capable de contribuer à la stabilité du réseau européen et aux besoins de nos voisins, (source de revenus pour le plus grand bénéfice de notre balance commerciale).
À défaut, nous risquerons de devoir démarrer dans l’urgence des centrales au gaz (CCG) ou de procéder à des importations d’une électricité plus carbonée provenant d’outre-Rhin, comme le reconnaît Emmanuel Macron : « renoncer au nucléaire totalement ou trop rapidement, ce serait ouvrir, comme d'autres pays l'ont fait, des centrales à charbon ou à gaz, ou importer de l'énergie carbonée. Et cela, nous nous y sommes refusés ».