Ingénieur économiste à IFP Énergies nouvelles
112 $/b pour le prix du pétrole (Brent) en juin 2014, 49 $/b en janvier 2015 soit une baisse de 56 % en 7 mois ; que se passe-t-il sur le marché pétrolier qui vivait avec un prix moyen autour des 100 $ depuis 2011 ? Au cours actuel de 50 $ environ, cela représente un recul potentiel gigantesque de la valeur de la consommation pétrolière annuelle (90 Mb/j environ), mais aussi de la production, à hauteur de 1 600 milliards de dollars, soit 2 % du PIB mondial.
Le responsable de la situation d’abondance est connu, il s’agit des LTO américains (« Light tight oil »), c'est-à-dire des huiles de schiste.
Au-delà d’une croissance économique modérée et de la hausse du taux du dollar depuis juin, la baisse des prix du pétrole est surtout le reflet d’un excédent d’offre et d’un changement de politique de l’OPEP. Le responsable de la situation d’abondance est connu, il s’agit des LTO américains (« Light tight oil »), c'est-à-dire des huiles de schiste dont la progression annuelle ne cesse de s’accélérer depuis 2010. Celle-ci atteint désormais le même niveau que la croissance de la demande pétrolière mondiale. Il n’y a donc plus de place pour renforcer l’offre de l’OPEP.
L’organisation pétrolière, dans son rapport de 2013, avait bien identifié ce risque de perte régulière de part de marché. Mais il y avait, il y a un an, une incertitude sur l’avenir des LTO. Une décroissance était envisagée après 2015/2020, voire bien plus tôt pour ceux qui évoquaient une bulle financière appelée à exploser… Mais personne ne voyait rien venir de ce côté-là, bien au contraire.
Il fallait un coup de pouce pour y parvenir : il a été donné par l’Arabie Saoudite au cours de la réunion ministérielle de l’OPEP du 27 novembre. C’est le choix d’une défense de ses parts de marché au détriment du prix. En refusant d’ajuster seule sa production face aux excédents pétroliers prévus en 2015, la monarchie pétrolière met ainsi en place (momentanément ?) un nouvel ordre pétrolier mondial.
Au sein de l’OPEP, ce sera le règne de la concurrence, alors que l’Irak espère renforcer sa production et l’Iran attend la fin de l’embargo. Les non-OPEP joueront de leur côté le rôle, jusque-là dévolu à l’organisation pétrolière, de producteurs d’appoint (« swing producers »). Leur place dépendra de la capacité de l’OPEP à répondre à l’augmentation de la demande mondiale. Le développement futur des pétroles les plus coûteux, offshore profond (50 à 80 $/b en moyenne) ou huiles lourdes du Canada (jusqu’à 90/100 $/b) par exemple, ne sera plus une évidence.
Ce nouveau contexte va se traduire par une remise en cause de certains projets, un ajustement drastique des investissements, ce qui pèsera lourdement sur l’ensemble des sociétés de service de ce secteur, et une nécessaire maitrise des coûts. Les effets sur la production ne se feront sentir que progressivement dans le temps.
On estime qu’un prix moyen de 50 $ à 70 $/b pourrait être de nature à rééquilibrer le marché cette année.
Cette année, l’essentiel des ajustements baissiers sur l’offre devrait porter sur les LTO (coûts compris entre 40 et 80 $/b) dont le niveau de production décroit très vite dans le temps. Ils nécessitent de ce fait des investissements réguliers et sont donc plus réactifs aux prix. On estime qu’un prix moyen de 50 $ à 70 $/b(1) pourrait être de nature à rééquilibrer le marché cette année. Au-delà, une volatilité entre 50 et 100 $, voire plus en cas de sous investissements, devient un scénario envisageable, hors circonstances exceptionnelles, de nature économique, climatique ou géopolitique.
En dehors d’une baisse des investissements pétroliers, un prix dans la zone basse aura des impacts sur le prix de certaines énergies, dont les produits pétroliers bien sûr comme on peut le constater à la pompe en achetant l’essence ou le gazole : le passage de 100 $ (mi-2014) à environ 50 $ (janvier 2015) a permis un recul de l’ordre de 20 ct€/l sur ces produits. Le gaz naturel européen et asiatique, pour partie dépendant du marché pétrolier, sera aussi impacté.
Sur l’économie, si le FMI n’anticipe pas d’effet positif au niveau mondial, cela constituera néanmoins un avantage financier significatif pour les pays importateurs. En France par exemple, un prix moyen de 60 $/b aboutirait à un recul de 15 milliards d'euros de sa facture énergétique en 2015, ce qui représente 0,7 % du PIB national. A l’inverse, les pays producteurs devront compenser le recul des recettes pétrolières pour éviter un impact trop marqué sur la croissance. C’est a priori gérable pour les monarchies du Moyen Orient, mais d’autres pays, qui ont besoin de prix à plus de 100 $, seront fragilisés à l’image de l’Irak, l’Iran, la Libye, le Nigeria, le Venezuela, le Brésil ou la Russie… des effets « collatéraux » inquiétants, potentiellement porteurs d’instabilité.
Concernant la transition énergétique, en dehors peut être de l’impact négatif sur le financement des biocarburants de nouvelles générations, cela pourrait avoir des effets neutres voire favorables. La baisse pourrait ainsi être l’occasion de réduire les subventions en place sur les énergies fossiles dans certains pays émergents (520 milliards de dollars en 2011 d’après l’AIE) et de permettre de renforcer les taxes sur les produits pétroliers. Ce serait un moyen de financer la transition. Les énergies renouvelables du secteur électrique - type éoliennes ou panneaux solaires - seront quant à eux peu affectées, les aides pour ces énergies étant liées au prix de l’électricité, influencé par le charbon.
Il reste à savoir si la nouvelle politique de l’Arabie Saoudite, qui n’est pas pour le moment remise en cause par le nouveau roi, sera durable. Déjà la compagnie nationale Aramco, par la voix de son président, juge que les prix du pétrole sont « trop bas ». Les enjeux budgétaires et les conséquences géopolitiques pourraient faire bouger les lignes. Le Royaume avait fixé le « juste prix » à 75 $ en 2008 puis à 100 $ en 2012. Le nouveau prix devra à la fois permettre de limiter l’offre des non-OPEP tout en améliorant l’équilibre budgétaire… retour à 75 $/b ?
(1) IFPEN présentera ses prévisions lors du prochain colloque Panorama du 5 février 2015.
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par Guy Maisonnier