Professeur émérite à l’Université de Montpellier (CREDEN)
Un débat énergétique mené dans un contexte de multiples paradoxes ? Ce n’est pas la première fois que la France débat d’une transition énergétique. Rappelons-nous les débats de 1946 avec les nationalisations et les efforts pour relancer l’industrie du charbon et construire un parc hydraulique important ; rappelons-nous aussi les débats de 1960 sur la régression du charbon et la nécessité de donner la priorité au pétrole importé bon marché ; ou encore le débat de 1974 sur l’accélération du programme électronucléaire suite au premier choc pétrolier ; on pourrait aussi citer les débats des années 1990 sur l’ouverture à la concurrence et la dé-intégration des industries du gaz et de l’électricité en Europe. Le débat actuel se déroule dans un contexte de faible croissance économique où les paradoxes ne manquent pas.
C’est d’abord le paradoxe d’une demande d’électricité qui au lieu de croître tend à se stabiliser, voire à baisser, ce qui devrait mécaniquement accroître la part du nucléaire alors même que l’on cherche à la réduire ; on met sous cocon des centrales thermiques (à gaz principalement) et sauf à arrêter des centrales nucléaires pour des raisons autres qu’économiques, la logique du merit order devrait conduire à ce que le nucléaire soit davantage appelé en proportion de la production d’électricité.
C’est ensuite le fait que le prix TTC du kWh payé par le consommateur domestique tend à s’accroître alors même que sur le marché spot il baisse et devient parfois négatif (comme ce fut le cas le 16 juin 2013). La faible demande d’électricité associée à une injection d’énergie éolienne ou solaire intermittente mais prioritaire sur le réseau tend à déplacer la courbe du merit order et conduit soit à arrêter les centrales thermiques à gaz, soit à payer des opérateurs pour qu’ils « achètent » ce produit devenu encombrant. Il est en effet parfois moins coûteux de payer pour écouler une électricité excédentaire que l’on ne sait pas stocker, plutôt que d’arrêter, pour une courte période, une centrale thermique qu’il faudra remettre en marche quelques heures plus tard.
Les énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire sont financées hors marché via la CSPE et elles ne sont donc pas sensibles au prix spot de l’électricité. Elles participent aux enchères sur le spot à un coût marginal nul ce qui fait baisser le prix d’équilibre mais accroît le surcoût entre le niveau du feed-in tariff et ce prix spot. La CSPE augmente d’autant et le prix TTC croît en conséquence.
C’est aussi le fait qu’aux États-Unis le développement rapide du gaz de schiste bon marché chasse le charbon américain de la production d’électricité ce qui conduit les excédents de charbon écoulés en Europe à chasser le gaz de la production européenne d’électricité. Du coup les émissions américaines de CO2 ont tendance à baisser alors que les émissions européennes risquent de s’accroître puisque les Européens ont tendance à construire des centrales à charbon et à fermer les centrales à gaz. Les bas prix du CO2 n’arrangent évidemment pas les choses.
Le dernier paradoxe c’est peut-être qu’il ne sera pas nécessaire de faire beaucoup d’efforts pour réduire la consommation d’énergie puisque la crise économique s’en charge !