Conseiller du Centre Énergie & Climat de l'Ifri
Membre de l’Académie des technologies
Depuis la découverte du colonel Drake en 1859, le pétrole a joué de façon continue un rôle majeur dans la politique économique américaine et sur le plan international, il a été un outil clé du leadership américain. Au fil du temps, cette politique a dû composer avec une modification des rapports de force sur le marché pétrolier. La révolution récente des hydrocarbures non conventionnels a été un game changer majeur. Au fond, la politique pétrolière du nouveau président américain n’est qu’un retour aux sources.
Les fondamentaux de la politique pétrolière américaine
Disposant d’un quasi-monopole de la production pétrolière mondiale au début du siècle dernier, les États-Unis ont utilisé le pétrole comme une arme diplomatique et militaire. Cette politique est parfaitement illustrée par cette citation d’André Giraud, ministre de l’Industrie pendant le second choc pétrolier : « Le pétrole est une commodité à fort contenu diplomatique et militaire, avec une valeur fiscale indéniable et accessoirement un pouvoir calorifique. » L’appui logistique apporté par le président Wilson à la France lors de la bataille de Verdun en est un premier exemple. De même, en 1941, les États-Unis décident d’imposer un embargo pétrolier contre le Japon pour contrer les ambitions régionales de ce dernier, embargo qui a conduit à l’attaque japonaise de Pearl Harbor.
Progressivement, les États-Unis perdent leur leadership sur le marché mondial : la production ne peut plus répondre à la consommation intérieure qui explose entraînant un accroissement de la dépendance extérieure. Le pays devient alors importateur net en 1958.
L’indépendance énergétique est alors recherchée par le contrôle de ressources pétrolières à l’étranger. Les découvertes au Moyen-Orient leur offrent une opportunité d’alliances stratégiques avec les acteurs les plus importants. C’est le cas d’abord de l’Arabie saoudite avec la signature de l’accord entre Roosevelt et Ibn Seoud le 14 février 1945 sur le cuirassé Quincy : par ce pacte, les États-Unis accordent au Royaume une protection militaire en échange d’une garantie d’approvisionnement en pétrole. Le renversement du Premier ministre iranien grâce à l’intervention des services secrets américains en août 1953 permet de nouer une alliance stratégique avec le Chah : les compagnies pétrolières américaines en profitent pour renforcer leurs intérêts dans ce pays.
Il ne faut évidemment pas oublier dans ce contexte deux dimensions majeures de la diplomatie américaine au Moyen-Orient : protéger Israël d’une part et freiner les ambitions soviétiques sur cette région. Rappelons d’ailleurs que le pacte du Quincy a été signé au retour de Yalta.
La déstabilisation de la politique pétrolière américaine
La géopolitique du Moyen-Orient après les chocs pétroliers bouleverse la politique pétrolière américaine qui se heurte à trois chocs successifs.
La guerre du Kippour en octobre 1973 redessine les alliances au Moyen-Orient. En réaction au soutien apporté à Israël, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) décide de mettre en place un embargo pétrolier contre les États-Unis. Henry Kissinger crée l’année suivante l’Agence internationale de l’énergie (AIE), bras armé des pays consommateurs face aux pays producteurs. Le premier choc pétrolier est la manifestation de la perte de prééminence pétrolière américaine au profit de l’OPEP qui décide de fixer les prix et les quotas. La chute du Chah d’Iran et la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en 1979 font disparaître un allié majeur des États-Unis au Moyen-Orient.
En 1986, les importations de pétrole dépassent la production nationale.
En parallèle, la production pétrolière intérieure continue de baisser inéluctablement alors que la consommation progresse toujours. Ainsi, en 1986, les importations de pétrole dépassent la production nationale. L’indépendance énergétique du pays devient un enjeu politique majeur. Le président Nixon lance le Project Independance fondé sur le développement du nucléaire et des hydrocarbures synthétiques. Le président Carter déclarera ensuite que la « dépendance énergétique est l’équivalent moral de la guerre ».
Les attentats du 11 septembre 2001 fragilisent l’alliance stratégique avec l’Arabie saoudite, la plupart des terroristes impliqués dans l’attentat étant des citoyens saoudiens. L’intervention américaine en Irak en 2003 ne fait que compliquer le paysage géopolitique moyen-oriental.
Ainsi, en quelques années, les États-Unis perdent leurs alliés traditionnels au Moyen-Orient et ne disposent plus de leurs principaux atouts sur lesquels ils avaient fondé leur stratégie pétrolière.
La révolution des hydrocarbures non conventionnels
La révolution des hydrocarbures non conventionnels va rebattre les cartes au profit des États-Unis. En quelques années, le pays devient exportateur de gaz, alors que sa dépendance vis-à-vis des importations ne cessait d’augmenter. L’indépendance gazière est à portée de main.
L’indépendance pétrolière est quant à elle plus difficile à atteindre, mais les États-Unis retrouvent tout de même leur leadership sur le marché pétrolier. En 2014, ils redeviennent les premiers producteurs mondiaux de produits pétroliers devant la Russie et l’Arabie saoudite.
Le prix du pétrole est désormais déterminé par le coût de production du pétrole de schiste aux États-Unis.
Cette situation de prééminence retrouvée offre des marges de manœuvre à la diplomatie américaine, comme l’a affirmé il y a deux ans le président Obama. Cette nouvelle latitude permet aux États-Unis d’engager la levée de l’embargo nucléaire iranien malgré l’opposition d’Israël et de l’Arabie saoudite.
L’OPEP de son côté doit faire face à un nouveau paradigme ayant perdu le contrôle du marché pétrolier. Les producteurs de pétrole de schiste américains sont devenus les swing producers qui fournissent le baril marginal. Le prix du pétrole est désormais déterminé par le coût de production du pétrole de schiste aux États-Unis.
Donald Trump, un retour aux sources de la politique pétrolière
C’est dans ce nouveau contexte que Donald Trump est élu président des États-Unis. Ses orientations en matière de politique énergétique sont claires : « Make America energy independent, create millions of new jobs, declare American energy dominance a strategic economic and foreign policy goal for the United States, become and stay totally independent of any need to import energy from the OPEC cartel or any nations hostile to our interests. »
On retrouve là les fondamentaux de la diplomatie pétrolière traditionnelle des États-Unis. En l’occurrence, la nomination au poste de secrétaire d’État de Rex Tillerson, ancien président d’Exxon est particulièrement symbolique.
La diplomatie pétrolière s’appuie sur les déclinaisons internes de cette politique, qui s’inscrivent en opposition frontale par rapport aux orientations environnementales de son prédécesseur.
Quelles sont les options du président américain ?
- Sortir de la COP21 : le processus est long et juridiquement compliqué.
- Alléger les subventions aux renouvelables : les aides ont été bien réduites avec la baisse des coûts et elles dépendent en grande partie des États.
- Relancer le charbon et le nucléaire : cette stratégie se heurte à la concurrence des gaz de schiste pour la production d’électricité. Tout au plus, la politique de Donald Trump permettrait de limiter la baisse de la consommation de charbon.
- Accroître les investissements dans les gazoducs et les oléoducs : ces nouvelles infrastructures permettront de réduire les coûts de transport. C’est en particulier le cas du bassin du Baken où le brut est évacué par camion ou voie ferrée, ce qui représente un coût de l’ordre de 10 $ par baril, mais la construction d’oléoducs fait face à des oppositions locales.
Il reste cependant plusieurs incertitudes à lever sur la politique de Donald Trump en matière de commerce international ainsi que sur la politique américaine vis-à-vis du Moyen-Orient, en particulier de l’Arabie saoudite et de l’Iran.
En somme, la politique pétrolière de Trump ne sera pas une révolution. Ce n’est qu’un retour aux fondamentaux américains qui prévalent depuis un siècle, renforcés par la révolution des hydrocarbures non conventionnels.
Olivier Appert est conseiller auprès du Centre Énergie de l’Ifri. Cette tribune a été publiée parmi les éditoriaux du Centre Énergie.