Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Un réchauffement qui ne faiblit pas
Une difficulté récurrente d’interprétation des données climatiques résulte de la forte variabilité du climat à court terme.
Dans le passé, cela a pu conduire à des erreurs d’interprétation. Par exemple, certains ont cru déceler un ralentissement du réchauffement entre 1998, année très chaude, et 2011 qui a vu une température légèrement inférieure à celle enregistrée treize ans auparavant. Le rapport du WG1 met en garde contre de possibles erreurs d’interprétation de sens inverse dans le futur. Ce n’est pas parce qu’un réchauffement moyen de 1,5°C ou 2°C sera observé une année que le seuil de température correspondant aura été atteint.
Sur la période 2011-2020, le WG1 estime le réchauffement moyen à 1,1°C relativement à l’ère préindustrielle. Depuis le 5° rapport d’évaluation, le réchauffement observé a augmenté de 0,19°C. Le GIEC a par ailleurs amélioré la prise en compte de la température des zones polaires. Le chiffre de 1,1°C s’inscrit dans la continuité de la tendance statistique observée depuis 1970 : une progression tendancielle de 0,2°C par décennie.
La prolongation de cette tendance conduirait à un réchauffement de 1,4°C en 2030, dans la fourchette des cinq scénarios représentatifs du GIEC. On atteindrait 1,8°C en 2050 et 2,8°C en prolongeant cette tendance jusqu’à la fin du siècle ce qui n’est compatible qu’avec le scénario intermédiaire du WG1.
Le rôle déterminant de l’action de l’homme
Ce réchauffement ne peut être attribué à des facteurs naturels. Les modèles climatiques qui ne prennent en compte que les paramètres naturels influençant le climat (irradiations solaires, irruptions volcaniques, etc.) ne détectent aucune variation de la température depuis un siècle. Seule la prise en compte de l’action de l’homme permet de comprendre la hausse des températures moyennes observées.
Appliqués au passé, les modèles climatiques permettent d’attribuer le réchauffement observé à l’accroissement du stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Le 6e rapport confirme une hypothèse de « sensibilité climatique » posée dès 1970 par le météorologue Charney : un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère conduirait à un réchauffement global de l’ordre de 3°C.
Les futurs possibles
On n’en est pas encore là ! Mais on s’en approche : pratiquement la moitié du chemin a été parcouru puisque ce stock s’est accru de 47% depuis l’ère préindustrielle. En tenant compte des autres impacts anthropiques sur l’atmosphère, le GIEC dessine les futurs possibles suivant le rythme à venir des émissions de CO2.
Dans tous les cas, un réchauffement de 1,5°C devrait être atteint vers 2030 compte tenu du stock de CO2 déjà rejeté dans l’atmosphère. Vers 2050, l’action ou l’inaction climatique commencent à produire leurs effets ce qui conduit à envisager trois types de futur possibles d’ici la fin du siècle :
- dans les deux scénarii a faible émission, la neutralité carbone est atteinte vers 2050 grâce aux fortes baisses d’émissions opérées entre 2020 et 2050. On conserve l’espoir de stabiliser le climat en dessous de 2°C d’ici la fin du siècle, et même vers 1,5°C grâce à des émissions nettes négatives après 2050 ;
- dans le scénario intermédiaire, les 2°C risquent d’être atteints vers 2050. Le pic des émissions mondiales a été touché en 2030, mais les émissions n’ont guère reculé entre 2030 et 2050. Le stock de CO2 dans l’atmosphère continue de croître ce qui conduit à une température moyenne entre 2,5 et 3 °C vers la fin du siècle ;
- Dans les scénarii fortement émissifs, le pic d’émission n’est pas atteint avant 2050. La stabilisation du stock de CO2 dans l’atmosphère semble hors d’atteinte d’ici la fin du siècle. On s’oriente vers des réchauffement supérieurs à 3 ou 4 °C d’ici 2100 qui se poursuivront au XXIIe siècle.
Une fois de plus, le GIEC nous rappelle le rythme impitoyable de l’horloge climatique dont les aiguilles sont animées par le stock de gaz à effet de serre, une grandeur présentant une inertie bien plus forte que celle de nos émissions annuelles.
Le temps qu’il reste
Une façon simplifiée de rattacher le flux d’émission de CO2 au stock dans l’atmosphère consiste à calculer le cumul des émissions de CO2 associé à différentes cibles de réchauffement, ce que l’on appelle le « budget carbone ».
Pour chaque cible de température, le GIEC a calculé le montant des émissions cumulées de CO2 qu’il ne faut pas dépasser. Nous avons reproduit ci-dessous ces budgets pour atteindre la cible avec une probabilité de 66,6%.
Cibles de température | Budget carbone | Budget résiduel | ||
---|---|---|---|---|
Mt | Déjà consommé | Mt CO2 | En années (au niveau d'émissions de 2019)(1) | |
+ 1,5°C | 2 790 | 86% | 400 | 9 |
+ 1,7°C | 3 090 | 77% | 700 | 16 |
+ 2,0°C | 3 540 | 68% | 1 150 | 27 |
Pour un réchauffement de 1,5°C, un peu plus de 85% du budget a déjà état consommé début 2020. En moins de 10 années d’émission au niveau de 2019, il sera totalement épuisé. Pour 1,7°C, on dispose encore de 16 petites années, et pour 2°C, d’un quart de siècle. C’est dire l’urgence qu’il y a à accélérer l’action climatique(2)...
- Le calcul du nombre d’années pour épuiser le budget carbone a utilisé les données d’émission du Global Carbon Budget pour 2019.
- Le rapport du WG1 ne traite pas des conditions de cette accélération. Mais il approfondit les interactions entre le montant des émissions brutes de CO2 et les autres paramètres qui accélèrent ou freinent le réchauffement global.
Cet article a été publié par Christian de Perthuis sur son site (accessible ici).
Il est suivi de deux autres publications : « Le CO2 et les autres » et « Le climat dans tous ses états ».