Train à sustentation magnétique au Japon (©photo)
À RETENIR
- Dans un supraconducteur, la résistance électrique s’annule très soudainement à des températures très basses. Le matériau conduit alors parfaitement le courant sans pertes d'énergie.
- Les champs magnétiques sont profondément affectés dans les supraconducteurs. Ils permettent entre autres de faire léviter des trains dont le plus rapide au monde au Japon.
- La supraconduction est cependant surtout appliquée aujourd'hui aux courants faibles, c’est-à-dire aux applications de traitement de l’information.
- Les chercheurs s’appliquent actuellement à trouver une explication à la supraconductivité des éléments les plus « chauds » (cette « haute température » restant inférieure à -135°C).
Définition et catégories
La supraconductivité désigne la propriété de certains matériaux de conduire parfaitement le courant électrique (sans aucune résistance) en générant d’importants champs magnétiques. Ce phénomène physique n’est atteint qu’à de très basses températures proches du zéro absolu (- 273,15°C).
Les matériaux supraconducteurs permettent ainsi de propager des intensités électriques considérables (« courants forts ») mais aussi des très importants flux d’informations (« courants faibles ») sans dissipation d’énergie. Dans ces matériaux, on peut aussi stocker de l’électricité sans pertes à long terme et exploiter les champs magnétiques intenses qui les entourent pour mettre en lévitation de fortes charges métalliques et les déplacer sans frottements mécaniques.
La complexité des technologies de refroidissement à de très basses températures limite encore les applications des supraconducteurs. Des progrès techniques sont toutefois attendus pour réduire partiellement cette contrainte.
Explications physiques
L’absence de résistance électrique
Dans un supraconducteur, la résistance électrique s’annule très soudainement en dessous d’une température appelée « température critique ». Le matériau conduit alors parfaitement le courant. Par exemple, un courant électrique peut continuer à circuler indéfiniment dans un anneau supraconducteur, une fois l’alimentation débranchée.
A l’échelle atomique, lorsqu’un matériau devient supraconducteur à très basse température, ses électrons (qui sont aussi des ondes à un niveau quantique) s’associent par paires. Toutes les paires d’électrons se superposent alors les unes aux autres pour former une seule onde quantique (le « condensat ») qui devient insensible aux défauts du matériau(1), faisant ainsi disparaître toute résistance électrique.
La modification du magnétisme
Les champs magnétiques sont profondément affectés dans un supraconducteur :
- ils peuvent s’annuler complètement dans le matériau (effet Meissner). Cet effet se caractérise dans un supraconducteur par l’extériorisation des champs magnétiques(2) ;
- ils peuvent être gelés dans la configuration où ils se trouvaient au passage à l’état supraconducteur (piégeage des vortex).
On observe l’un ou l’autre de ces effets selon la nature du matériau supraconducteur. Il est possible de faire léviter un aimant en combinant ces effets dans un système : l’effet Meissner repousse l’aimant du supraconducteur alors que le piégeage des vortex va maintenir l’aimant à l’endroit où il se trouvait quand le supraconducteur a été refroidi. L’aimant est alors piégé sans être attiré pour autant.
Applications
Transport électrique par câbles supraconducteurs
Un câble supraconducteur conduit le courant électrique sans résistance, donc sans pertes (par effet Joule). Il permet ainsi d’atteindre une capacité de transport nettement plus forte qu’un câble traditionnel (facteur 3 à 5). Cela permet d’augmenter la capacité d’un réseau saturé sans travaux de génie civil et sans augmentation des emprises au sol, exception faite des installations de refroidissement.
Les gains liés à l’absence de dissipation d’énergie sont contrebalancés par les coûts de refroidissement du câble.
Dans le contexte d’une augmentation de la puissance électrique dans certaines grandes métropoles, les câbles supraconducteurs constituent une alternative économique très intéressante au développement d’un nouveau câble résistif de plus forte capacité. Sa signature thermique nulle apporte beaucoup de souplesse dans l’installation d’un câble.
D’un point de vue économique, les gains liés à l’absence de dissipation d’énergie sont toutefois contrebalancés par les coûts de refroidissement du câble. La supraconductivité des câbles n’est pas très favorable d’un point de vue cryogénique du fait du rapport élevé entre la surface et le volume Par ailleurs, le bilan énergétique d’un câble supraconducteur est plus favorable que celui d’un câble classique uniquement au-delà d’un certain courant, compte tenu des pertes du cryostat qui le refroidit. Notons enfin qu’un câble supraconducteur peut parfois subir des faibles pertes lorsqu’il est parcouru par un courant alternatif, à 50 ou 60 Hz par exemple.
La technologie des câbles supraconducteurs a acquis une certaine maturité grâce à de nombreuses réalisations. Par exemple la société Nexans(3) exploite depuis mars 2008 les 600 m de câble supraconducteur véhiculant le plus de puissance au monde (600 MW) aux États-Unis (projet LIPA).
Limiteurs de courant ou « Fault Current Limiter » (FCL)
Les câbles supraconducteurs peuvent également contribuer à améliorer la sécurité d’un réseau électrique en intégrant un limiteur de courant.
Le FCL peut être comparé à un « super fusible » permanent puisqu’il se régénère automatiquement après un défaut d’alimentation.
Un limiteur de courant est un appareil qui limite automatiquement et naturellement le courant dès qu’il dépasse une valeur prédéterminée. Les courants ne sont actuellement pas limités mais seulement coupés par des disjoncteurs, entraînant des ruptures de la transmission d’électricité.
Le FCL peut être comparé à un « super fusible » permanent puisqu’il se régénère automatiquement après un défaut d’alimentation. Il est basé sur la transition intrinsèque et pratiquement instantanée d’un état sans résistance d’un élément supraconducteur à un état fortement résistif lorsque le courant franchit une certaine valeur.
Si la transition entre mode supraconducteur et dissipatif est extrêmement rapide (des millionièmes de secondes), la récupération du courant « normal » prend beaucoup plus de temps et peut atteindre quelques minutes(4).
Il existe actuellement 2 FCL fonctionnant de manière très satisfaisante dans le réseau européen au Royaume-Uni et en Allemagne.
Stockage d'énergie : le SMES (« Superconducting Magnetic Energy Storage »)
De l’énergie peut être stockée via un courant électrique envoyé dans une bobine de fil supraconducteur. Une fois la bobine court-circuitée (refermée sur elle-même), le courant circule quasi-indéfiniment sans pertes et produit un champ magnétique « éternel » L’énergie est donc stockée dans la bobine sous forme magnétique et électrique et peut ensuite être récupérée en un temps très court.
Les SMES ont une forte densité de puissance (mais une densité d’énergie modérée), un nombre de cycle de charge-décharge extrêmement élevé et un excellent rendement de conversion d'énergie (supérieur à 95%).
Plusieurs SMES ont démontré leurs performances et capacités opérationnelles pour des puissances dans la gamme du mégawatt et des durées de l’ordre de la seconde. Ils ont été utilisés comme sources interruptibles (« onduleurs ») pour des charges sensibles ou pour stabiliser des réseaux électriques. Certains réseaux utilisent déjà ces dispositifs, les retours d’expérience étant notamment importants aux États-Unis et au Japon. Néanmoins, le nombre de SMES vendus demeure faible à cause du coût initial élevé et de la concurrence de technologies de stockage plus matures.
Un SMES sert également de source de courant « impulsionnelle » : c’est une excellente solution pour des alimentations non interruptibles ou certains équipements statiques permettant d’améliorer le fonctionnement des réseaux électriques.
Trains du futur
Les propriétés « mécaniques » de la supraconductivité sont exploitées dans le domaine des transports : l’opposition entre un champ magnétique fixe (la voie) et un champ magnétique embarqué (bobines supraconductrices placées et refroidies à bord du train) permet de faire « léviter » des trains sans frottement entre corps solides(5).
Au Japon, le train le plus rapide du monde (603 km/h en tests en avril 2015) utilise des supraconducteurs et lévite à plusieurs centimètres au-dessus de ses rails. Le développement commercial de ces trains est encore limité par le coût des rails spéciaux qui sont nécessaires pour les faire circuler.
Applications hors énergie
La supraconduction est aujourd’hui davantage appliquée aux courants faibles, c’est-à-dire aux applications de traitement de l’information comme les téléphones portables ou les ordinateurs.
En médecine, les IRM utilisent de très forts champs magnétiques crées par une bobine de fil supraconducteur.
Les filtres les plus performants disponibles pour les antennes relais des réseaux mobiles utilisent d’ores et déjà des supraconducteurs : un petit « frigo » refroidit le circuit électronique en utilisant l’énergie électrique.
En médecine, les IRM (Imageries par Résonnance Magnétique) utilisent de très forts champs magnétiques crées par une bobine de fil supraconducteur plongé dans un liquide très froid comme l’hélium.
Chiffres clés
- Plus de la moitié des éléments de base de la classification périodique sont supraconducteurs si on les refroidit suffisamment. Dans certains cas, il faut en plus appliquer une pression sur le matériau.
- Pour les IRM, la supraconductivité permet de produire des champs magnétiques qui vont jusqu’à 500 000 fois le champ terrestre : aucun autre dispositif ne peut permettre une telle performance dans un volume d’une dizaine de m3.
Passé
Au début du XXe siècle, Kamerlingh Onnes cherche à comprendre et mesurer les propriétés des métaux à très basse température. En avril 1911, il constate une chute très soudaine jusqu’à zéro de la résistance du mercure en dessous de 4,2 K (environ -269°C). Il qualifie ce phénomène de « supraconductivité » le jour où il reçoit le Prix Nobel en 1913. Onnes découvre ensuite que d’autres métaux comme l’étain, le plomb ou l’aluminium sont aussi supraconducteurs.
Les chimistes et physiciens inventent de nouveaux matériaux supraconducteurs et cherchent à en améliorer les performances : à moins basse température, résistant à des champs magnétiques plus élevés...
Il faut par la suite attendre plus de 40 ans pour que trois physiciens, Bardeen, Cooper et Schrieffer, parviennent à expliquer clairement la supraconductivité dans les métaux en 1957 (modèle théorique appelé depuis « BCS », de leurs initiales).
Depuis lors, les chimistes et les physiciens inventent de nouveaux matériaux supraconducteurs et cherchent à en améliorer les performances : à moins basse température, résistant à des champs magnétiques plus élevés ou à des courants électriques plus forts, etc. Ces matériaux sont la plupart du temps artificiels et synthétisés en laboratoire.
Enjeux et futur
Une supraconductivité à plus haute température
On distingue parfois les « supraconducteurs classiques » des « nouveaux supraconducteurs » selon qu’ils supraconduisent à basse température ou moins basse température. La frontière de cette définition reste toutefois floue.
Les chercheurs s’appliquent actuellement à trouver une explication à la supraconductivité des éléments les plus « chauds », dits « « supraconducteurs à haute température critique » (aussi appelés « cuprates ») auxquels ne s’applique pas la théorie BCS. Précisons que cette « haute température » reste toutefois inférieure à -135°C.
On se contente actuellement d’une explication « phénoménologique » qui fait intervenir une nouvelle phase non expliquée aux températures intermédiaires entre l’état supraconducteur et l’état normal : le « pseudogap ». Certains pensent que les paires d’électrons seraient formées durant cette phase mais devraient être encore refroidies pour pouvoir se condenser. La supraconductivité de ces matériaux est donc suffisamment connue pour qu’on puisse en maîtriser les technologies mais pas encore assez pour donner une explication théorique définitive.
Les matériaux à haute température critique rendent notamment les systèmes de stockage « SMES » plus attractifs car ils permettent d’augmenter les performances massiques des aimants supraconducteurs et de réduire le coût de la cryogénie (investissement et fonctionnement).
Concrètement
Parmi les supraconducteurs classiques, les plus utilisés à ce jour sont des alliages de la famille A15, notamment le NbTi (alliage de niobium et titane) supraconducteur sous 9 kelvins (-264°C) et résistant jusqu’à 15 teslas ou le plus performant et plus cher Nb3Sn (alliage de niobium et étain) supraconducteur sous 18 kelvins (-255°C) et résistant à des champs jusqu’à 30 teslas. Ce sont ces alliages qui sont par exemple utilisés lors des IRM.
Le saviez-vous ?
Lors de certaines expériences, il a été constaté que les pertes liées à l’énergie stockée sous forme électromagnétique dans un dispositif supraconducteur étaient tellement infimes qu’elles seraient à peine détectables après 13,8 milliards d’années, l’âge de l’univers.