Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
L’annonce d’un « prix plancher » du carbone par le Président Hollande à la Conférence environnementale fin avril 2016 a confirmé un engagement de principe en faveur de la tarification du carbone. Au-delà d’un cercle très étroit d’experts, le public n’a guère compris la nature de ce prix plancher qui doit être institué pour le secteur électrique d’ici la fin d’année et encore moins comment il s’articule avec ce qui a été fait depuis le début du quinquennat en matière de tarification du carbone. Explication de texte.
Ce qui a été fait
La composante carbone
Depuis le 1er janvier 2014, la France dispose d’une « composante carbone » dans sa fiscalité énergétique, souvent dénommée « Contribution climat énergie »(1). Cette taxe carbone, pour appeler les choses par leur nom, a été portée par deux ministres du gouvernement Ayrault, Delphine Batho et Bernard Cazeneuve. Introduit dans la loi de finances pour 2014, le dispositif prévoyait de monter graduellement la taxe carbone de 7 euros par tonne de CO2 en 2014 à 22 euros en 2016. Mission pleinement accomplie : cette taxe s’applique aujourd’hui aux émissions de CO2 résultant de l’utilisation des énergies fossiles dans les secteurs non couverts par le système européen des quotas de CO2.
A l’initiative de deux sénateurs, Ronan Dantec et Chantal Jouanno, un article a été incorporé en fin de parcours dans la loi sur la transition énergétique, prévoyant de porter la taxe carbone à 56 euros la tonne de CO2 en 2020 et 100 euros en 2030. La loi de finances rectificative pour 2015, dans un amendement voté à l’initiative du député Jean-Paul Chanteguet, prévoit de relever la taxe carbone de façon linéaire jusqu’en 2019 pour atteindre l’objectif de 56 euros en 2020. Mission probablement en voie d’accomplissement jusqu’en 2019, si tout se passe comme prévu. Au-delà, la trajectoire reste purement intentionnelle, tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’un vote en loi de finances.
Depuis deux ans, la chute du prix des énergies fossiles a créé un contexte exceptionnellement favorable à la tarification du CO2.
Cette montée en régime est-elle acquise(2) ? Depuis deux ans, la chute du prix des énergies fossiles a créé un contexte exceptionnellement favorable à la tarification du CO2. La taxe carbone a été indolore pour les utilisateurs, notamment les ménages qui ont vu une baisse du prix des carburants à la pompe ou de leur facture de gaz malgré la hausse de la taxe.
Un tel contexte ne va pas se prolonger pendant quinze ans. Pour accompagner la montée en régime de la taxe carbone, il faudra la rendre acceptable auprès des ménages et des entreprises en les associant aux décisions concernant le recyclage du produit de la taxe. Le projet de 2014 prévoyait d’affecter 70 % de ce produit à la réduction des charges pesant sur les entreprises et le solde au soutien des foyers les plus vulnérables au renchérissement des énergies fossiles.
Quel est l’usage prévu pour la suite ? Pour quitter le domaine du déclaratif, il faut débattre de cette question en s’assurant que le relèvement de la taxe carbone permet bien de réduire d’autres impôts pesant sur les facteurs de production, qu’il satisfait aux conditions d’équité à l’égard de nos concitoyens les plus vulnérables et que son produit n’est pas affecté à d’autres usages. Un tel débat qui doit se tenir dans la sérénité pour présenter les différentes options possibles reste à organiser.
Le marché européen de quotas de CO2
Les émissions de CO2 de l’industrie lourde et du secteur énergétique sont soumises au système d’échanges de quotas de CO2 mis en place le 1er janvier 2005 au plan européen. Ce système dysfonctionne gravement depuis 2011, ne délivrant plus de réduction d’émissions et conduisant même les compagnies électriques à mettre sous cocon des centrales à gaz récentes pour faire tourner des centrales à charbon parfois en fin de vie !
Face à cette situation, le gouvernement français a repris les propositions du rapport remis au Président de la République en 2015 par Alain Grandjean et Pascal Canfin, d’introduire dans le dispositif européen un « corridor » avec un prix minimum et un prix maximum du quota.
On reste ici dans le domaine du déclaratif, car le gouvernement français n’a pas les moyens d’instituer unilatéralement la mesure. S’il obtient le soutien des partenaires européens, la mise en place du « corridor » exigera une profonde refonte de la gouvernance du marché européen des quotas afin de traiter la réelle cause des dysfonctionnements : l’absence de coordination entre le fonctionnement du marché et les mesures de politiques, le plus souvent nationales, destinées à réduire les émissions à des coûts souvent sans commune mesure avec les prix du carbone affichés sur le marché.
Le « prix plancher » annoncé à la Conférence environnementale
Un prix plancher appliqué aux seules émissions du secteur électrique français tel qu’il a été annoncé par le Président Hollande à la Conférence environnementale fait partie de ces mesures nationales, prises unilatéralement, incitant à réduire les émissions à des coûts plus élevés que le prix européen des quotas de CO2. Elle prendrait sans doute une forme similaire au dispositif mis en place au Royaume-Uni en 2013 : une taxe nationale différentielle entre le prix du quota sur la marché et un prix cible fixé à 30 euros la tonne de CO2. Ce dispositif qui a les faveurs des compagnies électriques doit juste passer en loi de finances pour être adopté.
On quitte ici le domaine déclaratif pour une action qui peut être conduite au plan national. La mesure est-elle judicieuse ? Au plan national, elle peut accélérer le retrait déjà engagé des centrales au charbon (mais on peut également y parvenir par la voie réglementaire) et donner une bouffée d’air aux compagnies électriques si le prix minimum du CO2 fait remonter le prix de gros de l’électricité. Les effets sur les émissions nettes du secteur électrique sont incertains car la mesure risque d’accroître nos importations d’électricité produite depuis des centrales thermiques à l’étranger(3).
Le prix plancher en France est dommageable au fonctionnement du système européen d’échange de quotas.
Au plan européen, elle est dommageable au fonctionnement du système d’échange de quotas de CO2 comme l’a été le dispositif britannique : le plafond d’émission s’applique aux 12 000 installations soumises au dispositif européen ; les réductions d’émission provoquées par un prix minimum sur le secteur électrique britannique ou français ne génèrent pas de baisses d’émission supplémentaires mais un simple transfert des quotas libérés vers les autres installations qui pourront émettre plus. Le plus clair résultat en sera une accentuation du déséquilibre entre offre et demande de quotas sur le marché européen. C’est la raison pour laquelle le gouvernement présente l’institution du prix plancher du CO2 pour le secteur électrique en France, comme un premier pas devant rapidement déboucher sur des mesures européennes plus ambitieuses. Mais sera-t-il suivi en la matière ?
Au total, les avancées du quinquennat en matière de tarification environnementale n’ont pas résulté de déclarations solennelles dans des conférences locales ou internationales. Elles ont été le fruit de décisions prises dans la discrétion, avec l’aide ou sous l’impulsion du travail parlementaire. Elles n’ont malheureusement pas fait l’objet de pédagogie de la part du gouvernement qui aurait pu utiliser l’incroyable opportunité de la baisse des prix des énergies fossiles pour assumer le choix d’une tarification ambitieuse du carbone, notamment en matière de redistribution, et traiter plus en profondeur la dimension européenne du sujet.
Vous pouvez retrouver ici les publications de la Chaire Économie du Climat.
- En référence au dispositif proposé par Michel Rocard en 2009.
- Voir notamment « Réussir la montée en régime de la taxe carbone », Chaire Economie du Climat, Policy Brief du 21 août 2015.
- Voir « Un prix plancher pour le secteur électrique, quelles conséquences ? », Chaire Economie du Climat, Policy Brief du 27 novembre 2015.
Une version abrégée de cette tribune est parue dans les Echos du 17 mai 2016.