Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
La France a besoin d’un choc qui relance l’investissement productif et l’emploi sans mettre en péril les comptes publics. Les recettes classiques ne fonctionnent plus. Les baisses de charge promises par la droite se transforment en effets d’aubaine sans relancer la croissance. Les plans de relance de l’investissement public promus par la gauche ne génèrent pas les recettes escomptées qui en assureraient la pérennité. Face à ce blocage, je propose de mettre la question de la réforme fiscale et de la transition écologique au cœur du plan de redressement économique du prochain quinquennat.
Ce qu’on appelle la « fiscalité écologique » représente dans notre pays environ 50 milliards d’euros, un peu plus ou un peu moins suivant le périmètre couvert(1). Pour sa plus grande partie, il s’agit d’une fiscalité de rendement déguisée. Dans le passé, la Loi de Finances de 1928 introduisit un droit sur les carburants qui se substitua à un impôt bien plus ancien : la gabelle. Le pétrole a pris la place du sel dans notre système fiscal pour générer des recettes au XXe siècle.
« La taxe carbone devrait converger vers le niveau atteint en Suède… »
L’objectif de la fiscalité écologique n’est pourtant pas de générer des recettes fiscales, mais de changer les comportements. C’est ce que visent la fiscalité de l’eau datant des années soixante, la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) instituée sous Lionel Jospin et la taxe carbone introduite en 2014 sous le quinquennat de François Hollande dont l’élan réformateur a été brisé par le retrait en catastrophe du projet d’écotaxe.
Je propose de déployer en cinq ans la fiscalité verte, avec deux priorités environnementales :
- en matière énergétique, accélérer la montée en régime de la taxe carbone qui devrait converger vers le niveau atteint en Suède, pays leader en la matière (introduite en 1991, la taxe carbone en Suède dépasse 115 €/t CO2 pour les émissions résultant du chauffage et du transport), et supprimer la totalité des avantages fiscaux bénéficiant au diesel durant le quinquennat. La mesure répond à une priorité de santé publique pour le diesel et à la nécessité de réviser à la hausse nos objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à la suite de l’Accord de Paris (COP21). Ce déploiement de la fiscalité énergétique incitera à davantage investir dans l’efficacité énergétique et les sources renouvelables en réduisant le coût des mécanismes de soutien existants ;
- hors énergie, la fiscalité écologique recouvre une mosaïque de micro-prélèvements avec de multiples dérogations la rendant inopérante. Je propose de la simplifier drastiquement, en la recentrant sur trois objectifs : la stimulation de l’économie circulaire par la mise en place d’une tarification dissuasive des mises en décharge ; la lutte pour la qualité des eaux et la protection de la biodiversité des rivières en utilisant la redevance pour pollutions diffuses pour enrayer les rejets de produits chimiques à hauts risques sanitaires et en introduisant une taxation des engrais azotés pour faire face au problème non résolu des nitrates ; la reprise du projet d’écotaxe poids-lourds par une expérimentation dans deux régions volontaires, comme cela était initialement prévu.
« Ces mesures pourraient permettre de dégager 30 à 40 milliards d’euros durant le prochain quinquennat… »
Menée avec ambition dès le début du quinquennat, ces mesures permettent de dégager de 30 à 40 milliards d’euros (10 à 15 milliards la première année), provenant aux deux-tiers de la fiscalité sur l’énergie. Comment utiliser cet argent ? Si on veut éviter d’accroître le poids de la fiscalité, il faut procéder par substitution : à chaque euro de fiscalité « verte » en plus doit correspondre un euro de fiscalité « grise » en moins. Ce principe de base doit être expliqué avec pédagogie aux électeurs et discuté en amont avec les parties prenantes pour trouver les usages les plus efficaces et les plus justes pour la société.
Pour ma part, je propose d’utiliser 70% des recettes additionnelles de la fiscalité verte pour abaisser le coût du travail dans les entreprises et faciliter la reconversion des secteurs les plus directement exposés à la réforme proposée. Les 30% restant devraient être fléchés vers les ménages, sous forme d’une baisse de la TVA de produits à faible empreinte environnementale.
Comme toute taxe indirecte, l’impôt vert pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Si on élève rapidement l’impôt vert, on incite l’utilisateur à se détourner de l’usage des biens qui détruisent l’environnement. C’est l’objectif recherché. Mais cela prend du temps et dans l’intervalle les foyers doivent continuer à s’éclairer, se chauffer, se laver… En l’absence de mesures correctives, la réforme de la fiscalité verte est socialement régressive car elle pèse plus, en proportion, sur la population à faible pouvoir d’achat. Pour contrer cela, il faut éviter les formules inefficaces du type tarifs sociaux ou chèque énergie(2). La bonne voie consiste à inclure une composante énergie dans le calcul des minimas sociaux qui gagneraient à être uniformisés et simplifiés. Quand la question de la fiscalité verte rejoint le débat sur le « revenu universel »…
Cette tribune fait partie des « 100 propositions de la recherche » réunies par le média Slate.
- « Fiscalité Environnementale : un état des lieux », CEDD, Janvier 2017.
- Les tarifs sociaux concernent la fourniture d’électricité et de gaz à des tarifs subventionnés. Ils doivent être remplacés à partir de 2018 par des « chèques énergie » couvrant également les besoins énergétiques liés au transport. Complexe, le système des tarifs sociaux ne touche qu’une partie des ménages en situation de précarité énergétique. Il ne s’intègre pas dans un dispositif plus large de lutte contre la pauvreté.
Christian de Perthuis a présidé le Comité pour la Fiscalité Ecologique. Il est l’auteur des ouvrages « Le capital vert, une nouvelle perspective de croissance » (Odile Jacob, 2014) et « Le complot climatique » (L’Harmattan, 2015).