Ingénieur dans le secteur de l'énergie
Auteur du livre Énergies (Tana Éditions)
La vignette Crit’air vise à réduire la pollution dans les centres-villes. Il s’agit cependant d’un outil présentant plusieurs limites qui pourrait être amélioré pour mieux protéger la santé de la population et l’informer sur la différence entre les polluants affectant la santé et ceux affectant le climat.
Lancée en 2016 pour lutter contre la pollution de l’air, la vignette Crit’air est requise pour circuler en véhicule motorisé dans un nombre croissant de centres-villes. Le message qu’elle porte reste cependant encore souvent mal compris par les automobilistes qui tendent à penser qu’un véhicule Crit’air 1 ou 2 est meilleur pour l’environnement qu’un véhicule noté 3, 4 ou 5.
Crit’air ne s’intéresse en pratique, et de façon imparfaite, qu’aux émissions de polluants à effets sanitaires. Elle ne couvre pas les émissions de gaz à effet de serre.
Crit’air : un classement reposant sur les normes Euro
La pastille Crit’air s’appuie sur les normes européennes d’émission – plus connues sous le nom de normes Euro. Ces normes, qui se sont renforcées avec le temps, fixent des limites de rejet maximales de composés polluants pour les véhicules roulants neufs. Les composés visés par les normes Euro sont ceux qui ont un impact sur la santé : principalement les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone et les particules fines.
Ainsi, un véhicule vendu aujourd’hui dans l’Union européenne doit justifier d’un niveau d’émission de ces composés inférieur à ce qui était exigé d’un véhicule vendu il y a 20 ans. L’objectif de ce dispositif est de réduire les maladies pulmonaires et cardio-vasculaires liées à la pollution de l’air, particulièrement dans les zones urbaines où le trafic routier est important.
Les normes Euro ne couvrent pas les gaz à effet de serre
Les normes Euro – sur lesquelles reposent la vignette Crit’air – ne s’intéressent pas aux gaz à effet de serre (CO2 principalement) néfastes pour le climat et émis par les véhicules. Or si certains dispositifs comme les pots d’échappement catalytiques permettent de réduire les émissions de polluants à effets sanitaires, les émissions de CO2 sont quant à elles directement liées à la consommation : plus une voiture est gourmande en carburant, plus elle émet de CO2, qu’elle soit ancienne ou moderne.
Cela explique qu’une voiture de luxe moderne dont certains modèles peuvent consommer plus de 20 litres aux 100 km en ville soit éligible à une pastille Crit’air 1, tandis qu’une petite voiture ancienne qui consomme 5 ou 6 litres aux 100 km est moins bien classée. La voiture de luxe moderne émet plus de CO2 néfaste pour le climat – non considéré par les normes Euro, donc par Crit’air. Mais du fait de sa motorisation moderne, elle émet moins de polluants à effets sanitaires que la petite voiture ancienne.
Normes Euro, une approche incomplète
Si les normes Euro s’intéressent aux émissions de composés polluants ayant un effet sur la santé, elles ne considèrent que ce qui sort du pot d’échappement. Cependant, l’usure des plaquettes de freins et des pneumatiques sont également des contributeurs importants à l’émission de particules fines, potentiellement bien davantage que ce qui est émis par la combustion du carburant. C’est ce qu’a démontré une étude de 2020 de l’entreprise Emissions Analytics, spécialisée dans les tests d’émission de voitures(1).
Ces émissions non couvertes par les normes Euro sont d’autant plus importantes que les véhicules sont lourds et leurs pneus larges, du fait des frottements accrus entre les pneus et la route et de l’énergie plus importante à évacuer au freinage. Or, ces dernières années, les voitures ont justement eu tendance à s’alourdir avec la mode des SUV.
Vers une évolution des normes Euro et de la pastille Crit’Air ?
Ce qui précède amène à formuler deux suggestions pour corriger et améliorer la pédagogie du système Euro / Crit’Air.
La première consisterait à intégrer les émissions associées à l’usure des freins et pneumatiques aux normes Euro. Il est cependant probable qu’une telle évolution suscite une opposition de la part des constructeurs automobiles – notamment haut de gamme. Il sera difficile pour eux de respecter les critères d’émission tout en continuant à vendre des véhicules lourds, dont la masse induit des émissions élevées de particules fines au freinage. Cela ouvre un débat sur la masse des véhicules face aux enjeux de santé publique.
La seconde suggestion vise à faire évoluer la vignette Crit’Air afin d’améliorer sa pédagogie pour éviter que les usagers associent inconsciemment une vignette Crit’Air 1 ou 2 à un véhicule « vertueux » sur le plan du climat (alors qu’il ne l’est – en partie – que sur le plan sanitaire).
Les vignettes Crit’Air pourraient ainsi être séparées en deux, une moitié notant les émissions de gaz à effets sur la santé, une moitié notant les émissions de gaz à effet de serre. Cette nouvelle information n’aurait pas vocation à être prise en compte pour réguler l’accès aux zones à faibles émissions, mais elle informerait l’usager de l’impact de son véhicule sur le climat, dont le réchauffement constitue également un enjeu de société majeur !