La vision de…
François Chabannes
Coprésident de la Fondation d’entreprise Alcen pour la Connaissance des Énergies
De l’énergie en 2050 ? Mais pour quelle humanité ?
De 7,5 milliards d’humains aujourd’hui, l’ONU en prévoit environ 10 milliards en 2050, l’accroissement de 2,5 milliards se produisant quasi exclusivement en Afrique subsaharienne (+ 1,6 milliard) et en Asie du Sud (+ 800 millions). Ces régions chaudes, les plus pauvres et les plus fécondes, souvent sans accès à l’électricité, ont cependant un fort potentiel de développement, sous réserve de disposer des énergies adaptées à leur environnement.
Simultanément, le taux mondial d’urbanisation, de 54% aujourd’hui, devrait dépasser 65% en 2050, soit un accroissement de 2,5 milliards de citadins, portant à 6 milliards la population totale vivant dans des agglomérations. Les densités y dépasseront couramment 15 000 habitants par km2. Près de 70% d’entre elles seront situées à moins de 100 kilomètres d’un littoral. Plus des deux tiers de l’énergie mondiale y sera consommée.
Aujourd’hui, près de 80% de cette énergie est tirée de la combustion dans l’air de ressources carbonées fossiles (charbon, pétrole, gaz) rejetant dans l’atmosphère du CO2 qui menace l’équilibre climatique, mais aussi des polluants (NOx, SO2, etc.) qui rendent irrespirable l’air des mégapoles. D’ici à 2050, la bataille pour l’environnement va donc se jouer principalement dans les agglomérations humaines hyperdenses, d’autant plus que leur littoralité les expose au premier rang des extrêmes climatiques.
L’électrification massive à partir de sources décarbonées apparaît comme la parade principale à la pollution et à l’échauffement qui menace les mégapoles existantes ou émergentes, en particulier dans les pays chauds en développement. Le tout-électrique pourrait rendre les villes hyperdenses de 2050 à la fois plus respirables, saines, climatisées, mais aussi circulantes, communicantes et résilientes.
Le solaire photovoltaïque (PV) émerge alors comme la technologie la mieux adaptée à l’électrification des espaces urbanisés futurs, en couvrant les toitures de panneaux solaires. Mais les rendements surfaciques du PV, encore loin des maximums théoriques, ne permettent pas d’espérer qu’il puisse faire face seul d’ici 2050 aux besoins des cités hyperdenses. Un premier appoint sera à rechercher dans la géothermie de leurs sous-sols pour les climatiser et même les électrifier à partir de forages adaptés en profondeur.
Aux pourtours des cités, en relais du solaire, les TWh décarbonés nécessaires à leurs industries seront produits par l’hydroélectricité et l’éolien dans les reliefs, par le nucléaire le long des fleuves et des rivages, par l’éolien offshore au large. Plus loin, l’habitat rural aura largement recours au solaire ou à l’éolien pour s’électrifier localement mais le recul du thermique fossile y sera plus lent que dans les villes.
Dans les cités émergentes, la révolution digitale accompagnera partout l’électrification. Production et consommation électriques seront harmonisées par des logiciels puissants, mis en œuvre dès la conception des infrastructures et des bâtiments, capables de piloter ensuite globalement l’efficacité énergétique de grandes agglomérations.
Deux obstacles majeurs vont s’opposer à l’électrification urbaine décarbonée :
- le foncier d’abord : hors nucléaire et géothermie, l’éolien, l’hydroélectrique et dans une moindre mesure le solaire nécessitent des surfaces énormes pour produire les TWh que les concentrations urbaines vont exiger. Ces espaces périurbains leur seront âprement contestés par les populations migrant vers les mégapoles ;
- l’économique ensuite. Malgré des années de subventions, le solaire et l’éolien n’ont pas encore décollé à l’échelle mondiale (2% de la production énergétique totale en 2015), la géothermie n’a pas démontré sa rentabilité, l’hydroélectricité et le nucléaire, quand on réussit à les faire accepter par les populations, exigent des investissements lourds à rentabilités lointaines. L’effort financier nécessaire d’ici 2050 pour électrifier l’urbanisation mondiale annoncée paraît, sauf catastrophe climatique planétaire, hors de portée des capitaux mobilisables.
Des solutions énergétiques dans la continuité des investissements dans les énergies fossiles, mais mettant fin à leurs émissions nocives dans l’atmosphère, vont donc être ardemment recherchées. On sait déjà capturer le CO2 dès l’émission et restaurer le potentiel énergétique de son carbone en le recombinant avec de l’hydrogène en méthane, injectable dans les infrastructures gazières existantes (méthanation). D’autres solutions sont possibles. Presque toutes impliquent l’hydrogène. Des centaines de laboratoires cherchent à le produire industriellement par des procédés décarbonés allant de la biochimie enzymatique exploitant des bactéries à l’ADN reprogrammé jusqu’aux réacteurs nucléaires dissociant l’eau à très haute température.
La puissance économique du complexe politico-industriel « fossilier » mondial, leur responsabilité climatique, leur maîtrise des processus et des infrastructures industrielles, de l’extraction à la distribution, les privilégient pour accéder en tête au recyclage du CO2 en hydrocarbures. Mais il leur faudra d’abord maîtriser la production de l’hydrogène décarboné compétitif. Ils s’ouvriraient ainsi un accès direct au stockage de l’électricité, c’est-à-dire au graal de l’énergie, celui que convoitent aussi les renouvelables et le nucléaire.
En 2050, le mix énergétique mondial devrait ainsi rassembler encore ceux qui y figurent aujourd’hui, mais dans des proportions très amplifiées en faveur de l’électricité décarbonée (de 20 à 50% ?), en particulier solaire. Si le recyclage du CO2 est maîtrisé, gaz et pétrole devraient conserver des positions majoritaires dans l’industrie et les transports.
Au-delà de 2050, le couple hydrogène-électricité devrait envahir progressivement l’énergétique humaine.