Docteur en science politique, spécialiste du Venezuela
Chercheur associé au CRESPPA-CS (Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris)
Dans le cadre de la crise mondiale de l’approvisionnement énergétique, le Venezuela pourrait constituer un fournisseur décisif pour rétablir certains équilibres. État doté des plus grandes réserves mondiales prouvées de pétrole, le pays dirigé par Nicolás Maduro produisait autour de 2,4 millions de barils par jour (Mb/j) jusqu’à la fin de l’année 2015 selon les rapports mensuels de l’OPEP (Monthly Oil Market Report). Á partir de cette date, la production quotidienne a chuté jusqu’à descendre en dessous de 0,4 Mb/j au 3e trimestre 2020 puis de remonter légèrement à 0,7 Mb/j depuis la fin 2021(1).
Les facteurs expliquant la chute de production du Venezuela sont multiples(2) : mauvais entretien des infrastructures, départ à l’étranger de travailleurs qualifiés, mesures coercitives unilatérales des États-Unis… La part de la responsabilité de la puissance nord-américaine dans cet effondrement est à estimer à sa juste mesure. Les premières mesures ayant un impact économique ont été adoptées par Donald Trump en août 2017 : elles consistent alors à interdire aux entreprises et aux citoyens étasuniens de contracter de nouvelles obligations à l’égard de l’État vénézuélien et de PDVSA, l’entreprise pétrolière vénézuélienne publique.
Fin janvier 2019, le Venezuela exportait encore 587 000 barils par jour à son puissant voisin de l’autre côté de la mer des Caraïbes. Ce chiffre est tombé à zéro en l’espace de deux mois.
Ces sanctions ont été alourdies en janvier 2019 au moment de la reconnaissance de l’opposant Juan Guaidó comme chef de l’État malgré le fait qu’il n’avait pas de pouvoir effectif dans le pays. Fin janvier 2019, le Venezuela exportait encore 587 000 barils par jour à son puissant voisin de l’autre côté de la mer des Caraïbes. Ce chiffre est tombé à zéro en l’espace de deux mois. Les nouvelles sanctions incluaient notamment l’octroi à l’ « administration » Guaidó de CITGO (entreprise pétrolière appartenant à l’État vénézuélien mais exerçant aux États-Unis dont la valeur était estimée entre 8 et 13 milliards de dollars) et l’interdiction d’utiliser le dollar pour acheter du pétrole à PDVSA.
Ces décisions étasuniennes peuvent s’apparenter à un « blocus » et s’inscrivent clairement dans une logique d’extra-territorialité dans la lignée de celles appliquées à Cuba et en Iran. L’impact de ces mesures est majeur au Venezuela mais ne constitue pas l’origine de la crise : le Venezuela ne produisait déjà plus qu’un million de barils par jour début 2019 (soit un peu moins du double que le volume exporté aux États-Unis).
Biden à la Maison Blanche
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche n’a pas eu d’effet immédiat sur les relations vénézolano-étasuniennes malgré les promesses de celui-ci durant la campagne présidentielle de 2020. En revanche, le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu des conséquences concrètes au Venezuela. Seulement dix jours après le début de l’invasion russe, des émissaires étasuniens ont été dépêchés à Caracas pour négocier avec le gouvernement Maduro. L’objectif de Washington était triple : trouver d’autres sources d’approvisionnement pour se passer du pétrole russe, peser à la baisse sur le prix du baril et distendre les liens entre Moscou et Caracas.
Toutefois, plus de dix mois après le début de ces discussions, les avancées sont très modestes. En mai 2022, l’administration Biden a autorisé l’entreprise pétrolière Chevron à engager des négociations avec le gouvernement Maduro en vue d’une éventuelle réactivation de ses activités. Cette mesure s’inscrit dans la continuité des licences accordées au trust pétrolier étasunien et renouvelées tous les six mois depuis 2019, pour maintenir ses activités au Venezuela sans pouvoir investir pour autant. En juin 2022, c’est au tour de la firme italienne Eni et de l’espagnole Repsol de pouvoir exporter en Europe(3).
L'entreprise pétrolière Chevron est désormais autorisée à importer du pétrole vénézuélien aux États-Unis. Pour l’heure, il ne s’agit que de livraisons ponctuelles depuis le début du mois de janvier 2023...
Néanmoins, les communautés cubaine et vénézuélienne aux États-Unis, en particulier en Floride, sont constituées en grande partie par des opposants aux gouvernements de leurs pays d’origine et appartiennent plutôt aux classes possédantes. Ces deux communautés se revendiquent majoritairement hostiles à tout allègement des sanctions envers les deux États caribéens. Toute ouverture dans un contexte électoral tel que celui des élections parlementaires de mi-mandat en novembre 2022, les midterms, était jugé potentiellement coûteux par les démocrates. Le scrutin passé, d’autant plus qu’il a été moins douloureux que prévu pour les démocrates et qu’il acte une bascule visiblement durable de la Floride dans le camp républicain, l’administration Biden a accepté un allègement modeste mais réel à l’égard du Venezuela.
L’entreprise pétrolière Chevron est désormais autorisée à importer du pétrole vénézuélien aux États-Unis. Pour l’heure, il ne s’agit que de livraisons ponctuelles depuis le début du mois de janvier 2023 mais ces transactions ont vocation à se développer. Une perspective politique semble exister pour parvenir à des améliorations plus substantielles sur les autres mesures du blocus. La stratégie d’un changement de régime rapide incarnée par la reconnaissance de Guaidó comme chef de l’État et choisie tant par l’opposition vénézuélienne que par la plupart des chancelleries occidentales est un échec. Il a d’ailleurs été remplacé ces derniers jours par un triumvirat plus enclin à la négociation suite à une décision des principaux partis de l’opposition vénézuélienne.
Pour autant, le chemin vers une levée totale des centaines de mesures coercitives étasuniennes est encore long. Nicolás Maduro conditionne l’organisation d’une élection présidentielle « libre » à la levée totale des sanctions. L’administration Biden continue, pour sa part, de considérer Nicolás Maduro « illégitime ». Le bras de fer se poursuit donc à travers la mer des Caraïbes. Même si le scénario, pour l’heure improbable, d’une levée totale de toutes les mesures coercitives unilatérales adoptées par Donald Trump advenait, l’état des infrastructures pétrolières au Venezuela et le départ de la main d’œuvre compétente rendent très hypothétique une augmentation substantielle de la production quotidienne d’or noir au Venezuela. Le dernier Monthly Oil Market Report de l’OPEP(4) indiquait une production de 676 000 b/j en décembre 2022, un chiffre éloigné de la volonté de Nicolás Maduro de revenir rapidement à 1, voire 2 Mb/j.
La fin des sanctions étasuniennes est ainsi une condition nécessaire mais loin d’être suffisante pour le retour du pétrole vénézuélien sur le marché mondial.
- Monthly Oil Market Reports de l'OPEP
- Thomas Posado, « Évolution syndicale de Pétroles du Venezuela Société Anonyme (PDVSA). De la méritocratie à l’arbitraire », Revue internationale des études du développement, n°251 (à paraître).
- En échange de dettes impayées et d’octroi de dividendes.
- OPEC Monthly Oil Market Report, 17 janvier 2023.