La vision de…
Colette Lewiner
Conseillère énergie du président de Capgemini
Administratrice d’EDF, Bouygues, Eurotunnel, Ingenico, Nexans
La situation énergétique des différentes régions du monde en 2050 dépendra de nombreux facteurs : les avancées technologiques, l’accroissement de la population, les modes de vie, l’éducation, les politiques énergie-climat régionales et le respect des accords mondiaux tels que l’accord de Paris signé en 2015.
Les avancées technologiques
On peut rêver de ruptures scientifiques et technologiques telles que la fusion froide, le réacteur à onde progressive(1) dont le cœur produit son propre combustible, la supraconductivité haute température ou la disponibilité sur Terre d’électricité photovoltaïque produite dans l’espace. Ce type de ruptures est souhaitable mais compte tenu du temps qui sépare l’expérience de laboratoire (pour certaines) ou le prototype (pour d’autres) de l’industrialisation, ces ruptures, si elles existent, ne produiront pas leur plein effet en 2050.
En revanche, il est très probable que les technologies actuelles de production d’énergie décarbonées seront plus efficientes.
Du côté des énergies renouvelables, le rendement des panneaux solaires photovoltaïques aura sensiblement augmenté et la baisse du coût de l’électricité produite aura été spectaculaire. L’éolien offshore sera aussi plus compétitif qu’aujourd’hui et les énergies marines commenceront à être matures.
Ces énergies étant par nature intermittentes, la question se pose sur la dynamique d’amélioration de la performance du stockage de l’électricité, que ce soit par batteries électriques ou grâce à l’hydrogène car les progrès dans ces deux domaines ont été lents au cours du siècle écoulé.
L’électricité d’origine nucléaire qui est, avec l’électricité d’origine hydraulique, la seule source d’électricité programmable décarbonée devrait continuer à participer, dans les pays suffisamment industrialisés, au mix électrique. Ce sont les réacteurs de 3e ou 4e génération avec les plus petits réacteurs(2), s’ils réussissent à être compétitifs, qui constitueront le parc mondial de centrales nucléaires car, compte tenu de l’état d’avancement des recherches sur la fusion nucléaire, celle-ci n’aura probablement pas atteint le stade industriel en 2050.
Les énergies fossiles seront disponibles et continueront d’être utilisées dans certains secteurs et dans certaines régions. Les procédés d’exploitation des gaz et pétroles de schiste se seront améliorés et seront plus respectueux de l’environnement.
Des procédés nouveaux de capture et de stockage du CO2 seront nécessaires pour que le charbon et le gaz (dans une moindre mesure) puissent faire partie des énergies « propres ». Cela est fortement souhaitable car on n’interdira pas l’usage du charbon dans les zones qui manquent cruellement d’électricité.
L’accès à l’eau potable restera un enjeu majeur dans certains pays dont la consommation d’énergie pour le dessalement d’eau de mer, par exemple, est très significative. Là aussi on peut espérer que la tendance actuelle vers des technologies plus sobres en énergie continuera.
La digitalisation, la connectivité et la robotisation dont on commence à mesurer l’impact sur nos sociétés, à travers les objets connectés par exemple, auront transformé l’économie, la production, les modes de travail et l’espace de vie. Ces transformations présenteront des côtés positifs comme la suppression de la pénibilité du travail, les économies d’énergie ou l’accès facile à l’information, au divertissement, à la culture, mais aussi des dangers. Les cyberattaques seront présentes dans la vie quotidienne mais viseront aussi des équipements industriels (les centrales de production d’électricité, les raffineries mais aussi les réseaux électriques) qui devront être protégés en permanence.
En théorie, ces progrès technologiques seront accessibles dans tous les pays du monde. En pratique, il n’en sera rien car il faudra avoir atteint une certaine maturité industrielle (avoir accès à une électricité fiable par exemple) pour pouvoir en bénéficier et il faudra aussi que la population ait atteint un certain niveau d’éducation, ne fût-ce que pour maintenir les équipements correspondants.
Les disparités
En 2050, la population mondiale devrait dépasser les 9,5 milliards de personnes, soit un accroissement de l’ordre de 30% par rapport à aujourd’hui. Ce sont les régions en développement qui enregistreront la plus grande augmentation de leur nombre d’habitants, en passant de 5,9 milliards en 2013 à 8,2 milliards en 2050. L'Afrique, par exemple, devra faire face aux enjeux liés à une population de 2,5 milliards d’habitants. En revanche, le nombre de personnes vivant dans les pays développés restera largement inchangé.
Dans ce contexte, l’alimentation, les modes de vie, l’accès aux biens essentiels comme l’eau et l’énergie, l’éducation, l’implémentation des avancées technologies seront très différents entre régions développées et régions en développement. Nul doute que le paysage énergétique mondial restera très contrasté.
D’une part dans les pays développés, la population continuera à avoir accès à l’énergie dans de bonnes conditions. Les efforts des consommateurs vers la sobriété énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre encouragée par un prix significatif du carbone et les avancées technologiques conduiront à une utilisation moindre des combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables et dans une certaine mesure de l’énergie nucléaire.
Même le secteur du transport, gros consommateur d’énergies fossiles, sera profondément transformé par la combinaison des deux technologies innovantes que sont le véhicule électrique et la transformation digitale. L’arrivée sur les marchés d’ici cinq ans des véhicules autonomes et plus tard le développement massif du véhicule électrique permettront de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Plus généralement, l’augmentation de la connectivité dans ces pays, avec notamment l’évolution vers la généralisation du travail à domicile, permettra de limiter les déplacements professionnels et donc la consommation d’énergie associée. L’adéquation production/consommation électrique sera réalisée de façon plus décentralisée avec un impact fort sur le modèle des « utilities ».
D’autre part les pays en développement, submergés par l’accroissement de leur population, auront été probablement le théâtre de tensions fortes, voire de guerres. Aujourd’hui, environ 1,3 milliard d’habitants n’ont pas accès à l’électricité qui est pourtant une ressource considérée comme essentielle. En 2050, la généralisation de l’accès à l’électricité et de façon plus générale à l’énergie dépendra :
- de la stabilité politique de ces pays, de l’amélioration de leur gouvernance et des choix d’allocation de ressources en faveur des infrastructures énergétiques ;
- de l’éducation des populations, notamment sur l’usage de l’énergie et de l’eau ;
- de l’efficience de l’aide apportée par les pays développés sous forme d’investissements financiers et/ou de transferts technologiques. Ces transferts de technologies ne seront utilisables que s’il existe localement des compétences techniques et industrielles adéquates.
En conclusion, la limitation de l’augmentation de la température globale de notre planète à 2 degrés Celsius(3) et de ses effets sur le changement climatique dépendront moins de la situation dans les pays développés que de la maîtrise des pays en développement de leur démographie et de leurs enjeux énergétiques.
L’aide des pays développés est indispensable afin que ces pays puissent mettre en œuvre des politiques de limitation de leur consommation d’énergie et de leurs émissions de gaz à effet de serre.
- Traveling Wave Reactor.
- Small Modular Reactors.
- Comme acté dans l’accord de Paris en 2015.