Barrage hydraulique de Tignes en hiver. (©EDF-Philippe Eranian/TOMA)
La Cour des comptes a rendu public ce 6 février un référé(1) sur le renouvellement des concessions hydroélectriques, adressé le 2 décembre 2022 à la Première ministre (consultable en bas de cet article). Elle y fait part de différentes observations et de deux grandes recommandations « afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu’il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique ».
Rappels sur le parc hydroélectrique et sur le rôle particulier des STEP
Avec 25,4 GW de puissance installée, la France métropolitaine dispose du plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne, rappelle la Cour des comptes en préambule : l'énergie hydraulique a compté pour 12% de la production d'électricité dans l'hexagone en 2021 (10,1% dans l'Union européenne en 2022 selon les dernières estimations d'Ember).
Ce parc hydroélectrique est principalement constitué (pour environ 90% en puissance cumulée) de près de 340 ouvrages exploités sous le régime de la concession(2) de service public (installations de puissance égale ou supérieure à 4,5 MW, celles de moins de 4,5 MW étant sous le régime de l'autorisation), avec 3 principaux concessionnaires : EDF (près de 70% de la production hydroélectrique du pays), la CNR(3) (environ 25%) et la SHEM(4) (moins de 3%).
Les ouvrages hydroélectriques sous concession sont très divers et « traditionnellement réparties selon quatre modes d’exploitation : au fil de l’eau, en éclusées, en mode lac et en station de transfert d‘énergie par pompage (STEP) ». Parmi ses 2 recommandations principales, la Cour des comptes appelle à « ne plus considérer les STEP comme des ouvrages ordinaires destinés à commercialiser de l’électricité sur le marché de détail mais comme des équipements destinés à contribuer à la flexibilité du réseau ».
De fait, les STEP permettent un stockage d'électricité à grande échelle : composées de deux bassins situés à des altitudes différentes, ces installations permettent de stocker de l’énergie en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur lorsque la demande électrique est faible (et le prix de l’électricité peu élevé). Lorsque la demande électrique augmente (tout comme le prix de l’électricité), elles restituent de l’électricité sur le réseau en turbinant l’eau du bassin supérieur. La Cour des comptes appelle ainsi à « proposer un modèle de rémunération propre » à ces STEP « à la hauteur de leur contribution au fonctionnement du système électrique français et permettant d’assurer un développement des investissements en ligne avec les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie ».
Renouvellement des concessions : « des années d'incertitudes »
Le calendrier d'échéance des concessions hydroélectriques en France métropolitaine s'étale entre 2003 et 2080, avec « 38 concessions à ce jour échues et pas renouvelées » dont la poursuite d'exploitation est toutefois autorisée par le régime dit des « délais glissants »(5).
Hormis pour le contrat de la CNR (« qui a depuis l’origine en 1933 la forme d’une concession unique regroupant les 18 barrages du Rhône », contrat prolongé en février 2022 jusqu’en 2041), les échéances de ces concessions ne sont pas coordonnées alors même que de nombreuses installations sont « liées du point de vue de la ressource hydraulique » (avec des personnels mutualisés sur une chaîne de concessions). La Cour des comptes prend ainsi l'exemple des 8 concessions du Rhin « dont les termes s’échelonnent de 2028 à 2046, [et qui] pourraient, lors de leur renouvellement, être attribuées à différents opérateurs, ce dont découlerait des difficultés de coordination ».
La loi du 17 août 2015 relative à « la transition énergétique pour la croissance verte » autorise certes à regrouper par décret des concessions « formant une chaîne d'aménagements hydrauliques afin d'en optimiser l'exploitation au regard des objectifs de la politique énergétique » mais les effets de cette autorisation sont « à ce stade limités ».
Le mode de gestion dit de « quasi-régie » est une alternative au dispositif de mise en concurrence : il permet « au pouvoir adjudicateur d'attribuer une concession publique [...] discrétionnairement à un opérateur public sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui sur propres services ». Une solution privilégiée par l'État dans le contexte de renationalisation d'EDF mais la Cour des comptes juge que « les conséquences économiques et financières de ce schéma ne sont pas clairement énoncées ».
La deuxième recommandation générale de la Cour des comptes est ainsi de « prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières en sus des considérations juridiques, au moment d’opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions hydroélectriques échues, soit pour leur mise en concurrence, à l’unité ou par regroupements ».